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11 novembre 2017 6 11 /11 /novembre /2017 10:21

    Au moment des grosses commémorations officielles ronflantes, que ce soit au niveau européen ou au niveau de villages, il est bon de rappeler les paroles de tous ceux qui participèrent en première ligne à cette guerre-suicide. En 1998, à l'appel de Radio France, huit mille auditeurs et auditrices envoyèrent les témoignages écrits de ces soldats issus de multiples positions sociales.

Ce petit livre rassemble certaines d'entre elles - environ 300 documents - qui nous rappellent la réalité de cette guerre, qui est aussi d'une certaine manière à des échelles différentes la réalité de presque toutes les guerres, mais singulièrement de celle-là, qui, rompant avec les jours de la "Belle époque", a mis fin à bien des vies, des espoirs et des illusions.

    Laissons introduire ce petit livre par Jean-Pierre GUÉNO, écrivain français, ancien directeur des éditions de Radio France  : "(...) Il y eut soudainement (dans les rues) des civils, des militaires de carrière, des conscrits, des réservistes, des artilleurs, des marins, des fantassins, des zouaves, des aviateurs, des sapeurs, des brancardiers, des agents de liaison, des télégraphistes, des sous-officiers (...), des cantiniers, des bleus, des rappelés, des permissionnaires... Il y eut soudainement des poilus.

Leur écriture était ronde ou pointue : elle avait la finesse de la plume ou le trait gras du crayon à encre. Ils s'appelaient Gaston, Jean, Auguste, Marcel (...). Leurs femmes et leurs mères s'appelaient Félicie, Léonine, Hortense (...)... Ils avaient le plus souvent entre 17 et 25 ans, mais ils pouvaient en avoir 30 ou 40.

Autant de voyageurs sans bagages qui durent quitter leurs familles, leurs financées, leurs enfants. Laisser là le bureau, l'établi, le tour (...). Revêtir l'uniforme mal coupé, le pantalon rouge, le képi cabossé. Endosser le barda trop lourd et chausser les godillots cloutés.

Très vite, ils comprirent que cette guerre n'avait pas de sens. De faux espoirs en faux espoirs, de dernières batailles en dernières batailles, ils finirent par ne plus pouvoir prévoir la fin de la guerre dont ils étaient les acteurs et dont l'utilité vint à ne plus leur paraître évidente.

Sur 8 millions de mobilisés entre 1914 et 1918, plus de deux millions de jeunes hommes ne revirent jamais le clocher de leur village natal. Leurs noms sont gravés dans la pierre froide des monuments de nos villes et de nos bourgs. Et quand l'église s'est tue, quand l'école est fermée, quand la gare est close, quand le silence règne dans ces bourgs qui sont devenus des hameaux, il reste ces listes de mots, ces listes de noms et de prénoms qui rappellent le souvenir d'une France dont les campagnes étaient si peuplées.

Plus de 4 millions d'hommes ne survécurent qu'après avoir subi de graves blessures, le corps cassé, coupé, marqué, mordu, la chair abîmée, quand ils n'étaient pas gravement mutilés. Les autres s'en sortirent en apparence indemnes : il leur restait le souvenir de l'horreur vécue pendant plus de 50 mois, la mémoire du sang, de l'odeur des cadavres pourrissants, de l'éclatement des obus, de la boue fétide, de la vermine, la mémoire du rictus obscène de la mort. Il leur restait la griffe systématique et récurrence du cauchemar pour le restant de leurs jours et avec elle le cri angoissé parce que sans réponse, l'appel de leur mère. Il leur restait la force des mots qui évoquaient des images dont ils n'oublieraient jamais l'horreur : Gallipoli, Verdun, Le Chemin des Dames, Arlon-Virton, le moulin de Lavaux, la Somme, Ypres, Péronne, Montmirail, Douaumont, le fort de Vaux..."

    Les responsable de ce livre n'ont pas la prétention de faire oeuvre d'historiens. Leur démarche est avant tout humaniste et littéraire. "Il s'agissait simplement de faire entendre ces cris de l'âme confiée à la plume et au crayon, qui sont autant de bouteilles à la mer qui devraient inciter les générations futures au devoir de mémoire, au devoir de vigilance comme au devoir d'humanité."

"Entre 1914 et 1918, poursuit-il, la propagande gouvernementale fut tellement intense qu'elle fit perdre tout crédit à une presse écrite trop servile et trop prompte à relayer le "bourrage de crâne". La France fut le seul pays incriminé dans le conflit dans lequel il était strictement interdit de publier les pertes. Cette chape de silence et de mensonge porta longtemps ses fruits après la Première Guerre mondiale. Nos livres d'histoire ont trop longtemps minoré les pertes de l'une des plus grandes boucheries de l'histoire qui fit dans le monde plus de 10 millions de morts et près de 20 millions de blessés. Ils ont trop longtemps passé sous silence le véritable état d'esprit de ces poilus qui pour la plupart ne se faisaient aucune illusion sur le fondement réel du conflit, mais qui n'en accomplirent par moins leur devoir avec un courage surhumain. Ils ont trop longtemps passé sous silence l'incompétence criminelle de certains officiers supérieurs qui n'ont pourtant pas laissé une trace négative dans la mémoire collective. (...)"

     Ces 300 documents sont présentés au rythme des saisons : Premier été, saison du départ et du baptême du feu, Automnes, saisons ensanglantées, saisons de la mort et du pourrissement, Printemps, saisons à contre-pied, saisons du cafard et de la nostalgie., Etés, saisons des amours à distance, saisons des aveux qui l'on n'avait jamais osé exprimer, Dernier Automne : saisons des ultimes boucheries, saison de la paix qui se déchaîne aussi brutalement que la guerre avait pu enflammer les moissons de 1914. L'ensemble des lettres reçues sont versées dans les fonds d'archives de la Grande Guerre de Péronne et dans les Fonds d'archives du ministère de la Défense. 

 

A noter que Jean-Pierre GUÉNENO a publié également Paroles de poilus, paroles de paix en 2017 aux Editions rue des écoles. Il a publié encore avec Jérôme PECNARD, aux éditions Les Arènes en 2009, Paroles de l'ombre, Lettres et carnets des françaises sous l'Occupation (1939-1945).

 

Sous la direction de Jean-Pierre GUÉNO et d'Yves LAPLUME, Paroles de Poilus, Lettres et carnets du front (1914-1918), Librio, Radio France, 1998, 190 pages.

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26 octobre 2017 4 26 /10 /octobre /2017 13:37

     Le spécialiste des questions stratégiques, directeur d'études à l'EHESS, poursuit là sa réflexion sur le monde post-guerre froide et sur l'état actuel de l'empire "américain". Intitulé spéculations financières, guerres robotique, résistance démocratique, on trouve dans ce livre analysés des aspects de la mondialisation en ce début du XXIe siècle. Pour Alain, il s'agit toujours de la guerre, qu'elle soit économique, physique ou intellectuelle.

Pour lui, ce n'est pas d'une guerre qu'il faut parler, mais d'une combinaison de guerres par lequel le capitalisme poursuit ses oeuvres : il consacre à chacun de ces aspects un chapitre. 

Il développe d'abord ce qu'il appelle "société insécuritaire" globale. Qu'est-ce qui relève, dans les crises actuelles, de l'accident technique ou de la volonté politique? Fukushima et la crise des supprimes en sont emblématiques. Sous cet angle, la réflexion de l'auteur est particulièrement intéressante, cat elle tente d'éclairer l'intrication profonde entre le "technique" et le "politiques". Un enchevêtrement, dans un monde de plus en plus rapide, bien difficile de démêler.

Alain JOXE revient sur les guerres menées sous la houlette des Etats-Unis, des guerres selon lui politico-économiques, "sans but politique fixe. A l'heure où les Bourse et les marchés mondiaux sont lancés dans la course au millième de milliseconde (le trading haute fréquence), l'auteur fait le parallèle entre la gestion désormais entièrement informatisée des marchés et la robotisation de la guerre : supercalculateurs capables de déclencher une attaque massive contre une valeur ou une monnaie d'un côté, drôles de l'autre. Dans le domaine économique aussi, la guerre "propre" ne le reste jamais bien longtemps. A qui profite cette évolution? A une nouvelle noblesses rentière dénationalisée", écrit-il qui rappelle au passage que "l'esclavage pour dette" était déjà condamné dans l'Antiquité.

On peut reprocher à l'auteur de se focaliser excessivement sur le phénomène de la spéculation, celle-ci n'étant qu'un des aspects de la dimension désormais planétaire de la technique. Nous vivons sous la menace d'un "Hitler invisible", affirme Alain JOXE, pour souligner le risque de conflagration majeure que fait peser sur la planète un capitalisme débridé.

De façon convaincante, l'auteur plaide pour un nouveau "réalisme" à l'échelle mondiale. "Il est devenu essentiel de regrouper les nations démocratiques en une fédération capable, par son poids, de se défendre contre les nuisances de la finance, écrit-il. En prévenant que seule une revitalisation démocratique de l'Union Européenne, pour l'instant encore trop sous l'emprise de ce capitalisme financier, permettra d'éviter les replis régionalistes ou fascisants.

Au total, il s'agit d'un essai ambitieux, dans lequel, à son habitude, Alain JOXE manie les concepts avec brio. Il montre que les mutations économiques, militaires et technologiques qui  se combinent dans une accélération des décisions efface le temps long du politique et fabrique un système incapable de réguler la finance ou la violence. Pour en finir avec la dictature des marchés, une mobilisation éthique commence en faveur de la conversion de l'Europe, seule force qu'il voit pour l'instant capable d'inverser la tendance. Chemin faisant, il montre que le temps de CLAUSEWITZ risque bien de finir : plus de victoires décisives, que des guerres qui n'en finissent pas, s'enchainant très vite l'une l'autre. Son analyse des fins de guerre de Barak OBAMA par exemple tend à indiquer que, faute de décision sur le terrain et même faute de "buts de guerre" bien définis, des territoires de plus en plus étendu sont en proie à la violence, et d'une violence de plus en plus automatisée. La nouvelle "noblesse dénationalisée" ne s'intéresse ni aux buts de guerre bien définis, ni aux dégâts "collatéraux" de ce qu'elle favorise dans le monde entier, du monde que "son" système continue de fonctionner.

 

Alain Joxe, les guerres de l'empire global, La Découverte, 2012, 260 pages. 

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24 octobre 2017 2 24 /10 /octobre /2017 08:23

     Dans ce gros livre, Jean-Jacques LANGENDORF (né en 1938), historien, écrivain et saisisse suisse, met à jour les traditions prussiennes restées vivaces au sein de la Wehrmacht de la seconde guerre mondiale, au-delà des clichés sur l'affreux Boche. Ce livre, conclusion de plusieurs décennies de recherches, qui décrit et explique la pensée militaire prussienne de Frédéric le Grand à Schlieffen, se lit comme une histoire des doctrines stratégiques émergées en Prusse entre le milieu du XVIIIe et le début du XXème siècle, restitue l'éclat de l'univers intellectuel de cette époque. Il le fait en mettant en parallèle l'univers artistique, intellectuel et philosophique contemporain. Sa réflexion lie deux univers apparemment inconciliables sur bien des plans, qui se rejoignent dans le contexte post-napoléonien de transformation de la guerre professionnelle et limitées, "scientifique", sous le règne de Frédéric II le Grand, en une confrontation générale des peuples, où l'ardeur des forces morales se combine aux derniers apports techniques de la modernité. En l'espace d'un siècle et demi, des batailles de Hohenfriedberg (1745) et Rossbach (1757) au Plan Schlieffen de 1906, le "laboratoire militaire prussien" va tout conceptualiser et, fait rare, tout expérimenter, le choc et la manoeuvre, le feu, le système et le risque calculé.

Le premier moment prussien, au sens psychologique du terme, est dû à l'inflexible volonté du roi de Prusse Frédéric II. C'est à lui que le privilège revient, si nous suivons l'auteur, d'avoir introduit la philosophie des Lumières dans les plans de bataille. Consignée en 1748 dans ses Principes généraux de la guerre, sa pensée, imbue de rationalisme ne s'en inscrit pas moins dans le prolongement des méthodes éprouvées par son aïeul le Grand Electeur. S'il lui arrive parfois de céder à l'esprit de système lors de ses campagnes, le roi-philosophe ne perd ainsi jamais de vue les capacités limitées de la Prusse. la guerre est certes une science dont il estime être l'unique praticien en son royaume (agissant en véritable empereur sur ses terres), rabaissant volontiers les mérites de ses généraux ; elle est aussi affaire de réalisme, ce qui se traduit par Frédéric II par des guerres rapides et agressives, propres à être remportées au terme d'une bataille voulue décisive. Ce faisant, il pose les bases d'une pensée militaire durable, tout d'énergie et manoeuvrière, qui mise sur la prise de risque pour atteindre son objectif.

Il n'est cependant pas de doctrine qui ne finisse, avec le temps, par découvrir ses points faibles. Comme un séisme renverse un édifice vermoulu, la cinglante défaite d'Iena-Auerstaedt en 1806 va consacrer la rupture entre la jeune garde des officiers subalternes, avides de réformes, et leurs aînés devenus plus frédériciens que Frédéric II lui-même. Au fil des décennies, les systèmes élaborés par ce dernier se virent élevés au rang de théorèmes infaillibles, applicables en toutes occasions, indépendamment des circonstances. Aussi oublieux de son génie créateur que dépouvus d'inventivité, ses successeurs s'adonnèrent aux spéculations mathimatico-géométriques les plus fantaisistes, faisant fi des siècles de pensée stratégique. Lesquels se retrouvent dans des milliers de fascicules qui font la joie des illustrateurs... Des divagations intellectuelles balayées sans pitié par les armées napoléoniennes, que dénonçait déjà dans les années 1760 Georg Heinrich Berenhorst, à maints égards précurseurs de Clausewitz. Dans un chapitre intitulé "Le Sage et le Fou", véritable livre à l'intérieur du livre, LANGENDORF lui rend hommage, par opposition au graphomane "fou" Adam Heinrich von Bulöw (sa vie, narrée par le menu, est en soi, un roman), sous sa palme le parangon de ces stratégies de la règle et du compas.

La première partie du XIXe siècle, considérée à bon droit par LANGENDORF comme l'âge d'or de la pensée militaire prussienne, réagit aux excès de l'Aufklärung, dans le domaine qui nous occupe avec la même ardeur que dans les arts ou la philosophie. Concomitante de la poussée du romantisme en Allemagne, une nouvelle compréhension des ressorts de la guerre s'affirme, dont les influences sont autant à rechercher dans les idées du temps que dans les leçons apprises lors des campagnes de 1813-1814. Le nom de Clausewitz, s'il domine rétrospectivement la période, ne saurait faire oublier la génération spontanée de réformateurs prussiens don Vom Kriege (De la guerre), paru à titre posthume en 1832, reprend et affine bon nombre de développements. Parmi ceux-ci, le plus important est sans conteste la requalification de la guerre en art, voire en "artisanat", et sa subordination aux objectifs du pouvoir politique. Reformulée par Clausewitz, cette idée-force - La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens - est devenue axiomatique ; elle n'en est pas moins due, à l'origine, aux travaux de ses compatriotes von Lossau et Rühle von Lilienstern. Les guerres de libération mettent en application les réformes conçues et imposées par Gerhard von Scharnhorst et August von Gneisenau à partir de 1807, non seulement du point de vue tactique (abandon de l'ordre linéaire, assouplissement de la discipline, autonomie des cadres subalternes), mais dans la composition même des armées, avec la constitution de milices supplétives ou Landwehr, organisés sur le modèle français de l'enrôlement du plus grand nombre. La nécessité d'accroitre la formation théorique des officiers conduit la Prusse à se doter d'une école, l'Allgemeine Kriegsschule (future Kriegsakademie), en 1810. Créée par Scharnhorst, Carl von Clausewitz y enseigne la tactique avant de la diriger à la fin de sa vie.

Entre le sursaut national de 1813 et le triomphe retentissant de la Prusse en 1871, entre la mort de Scharnhorst au combat et l'entrée de Moltke au panthéon des stratèges, LANGENDORF revient dans un chapitre de transition sur le cas Willisen. Homme d'une seule bataille soldée par une cinglante défaite, Karl Wilhelm von Willisen, qui se targuait dans ses écrits d'avoir saisi les fondements de la guerre, fut battu à plate couture par les Danois à l'été 1850. Il annonce, par là, bien malgré lui, le renouveau de la pensée militaire prussienne, laquelle, constate notre auteur, menaçait de retomber dans l'ornière du dogmatisme.

Cette renaissance est la conséquence directe de la réforme militaire entamée en 1860 sous l'égide du roi Guillaume et de son chef d'état-major, Helmuth von Moltke. Aux tentations du schématisme et de la rigidité hiérarchique, toujours très en cours dans l'armée prussienne (pas seulement d'ailleurs...), Moltke oppose l'audace et l'initiative personnelle. L'adaptation est, avec l'intelligence du terrain, son mètre mot, la qualité première qu'il attend de ses chefs de corps d'armée. Il y a néanmoins une similitude entre ses campagnes et celles de Frédéric II : courtes (5 mois en 1864, 7 semaines en 1866, 11 mois en 1870-1871), chacun se conclut par une bataille décisive.

Lorsque Alfred von Schlieffen est nommé chef d'état-major en 1891, les règles de la stratégie allemande sont établies. Schliefen ne remet en cause ni les vertus de l'offensive ni l'enveloppement de l'ennemi au terme d'une manoeuvre de grand style. C'est pourtant son idée d'un plan de bataille parfait, car envisageant tous les possibles, qui scelle le sort de l'Allemagne en 1914. Sa mort, survenue un an plus tôt, lui épargne ce chagrin. A trop vouloir intégrer les tenants et aboutissants, Schlieffen renouait-il avec les vieux démons de la pensée militaire prussienne? On ne note pas parmi ses successeurs - formés par lui il est vrai, de contestation sérieuse de son plan, même après son départ à la retraite en 1905.

Jean-Jacques LANGENDORF, La pensée militaire prussienne, Economica, septembre 2013, 615 pages.

Laurent SCHANG, recension, Institut de Stratégie Comparée, 2014/1, n°105, www. cairn.info

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17 octobre 2017 2 17 /10 /octobre /2017 12:03

    Julien LOISEAU, Maitre de conférence en histoire médiévale à l'Université Paul Valéry Montpellier III et directeur du Centre de recherches français à Jérusalem, n'écrit pas une synthèse de l'histoire du sultanat mamelouk, ni un tableau exhaustif de l'époque mamelouks. Son ouvrage vise, selon son auteur, à restituer ces serviteurs d'Etat souvent d'origine servile dans la société de leur époque, l'Egypte et le Bilâd al-Shâm du XIIIe au XIVe siècle, afin de réaffirmer le caractère inédit, unique en fait, de cette expérience de pouvoir. En matière de sociologie de défense, même s'il n'entend pas rédiger dans ce cadre, cette étude constitue un outil précieux. 

En six chapitres, Julien LOISEAU reconstitue dans un style élégant et accessible, la formation de cette société mamelouks de l'achat de ses composantes serviles à l'éducation de ses membres. Il visite leurs outils de légitimation et de domination dans l'économie locale avant de considérer les pratiques sociales qu'ils partageaient avec leurs sujets.

L'auteur cherche à renouveler la compréhension de cette forme de pouvoir, loin d'un récit strictement militaire de l'existence de cet Empire Mamelouk, en mobilisant de multiples sources secondaires et des chroniques. Il parvient à éclairer la formation de ce corps d'esclaves en esquissant une histoire globale des traites qui relierait le Proche-Orient médiéval à la Horde d'Or mongole, au monde byzantin, à l'Italie et à l'Espagne... De ce point de vue, en se référant aux travaux de Marie FAVEREAU, (chercheur en histoire à l'Université de Leyde, spécialiste de l'empire mongol et des Tatars auteur de La Horde d'Or. Les héritiers de Gengis Khan, Editions de la Flandonnière, 2014) il montre à quel point la traite d'esclaves devient "un des principaux enjeux de la diplomatie mamelouks". L'auteur reconstitue ainsi avec talent la culture matérielle de l'époque. A une échelle macro-économique, il rappelle le caractère fondamental de l'irrigation et de l'économie agraire pour cette société militaire, alors que généralement on accorde plus d'attention aux commerces locaux et régionaux. Attentif aux détails, il explore la culture matérielle du blason avec des pages fascinantes sur les rapports des mamelouks aux animaux.

L'ouvrage ne cherche pas à renouveler la définition même du mamelouk, ni de l'esclave. Son auteur reste fidèle à la définition établie par l'historien David AYALON (1914-1998), spécialiste des dynasties mameloukes d'Egypte et auteur d'un Dictionnaire Arabe-Hébreu compilé en 1947) qui  accumulait toute une série de critères d'appartenance aux corps des mamelouks : l'esclavage, l'arrachement à un passé, la conversion à l'islam et l'insertion dans un service d'Etat, traduite ici par l'intéressante expression de "turcité professionnelle" que l'on peut retrouver ailleurs dans le temps et dans l'espace. Pour circonscrire ce groupe, Jean LOISEAU confronte les estimations de leurs nombres dans les sources médiévales et les plus récentes études scientifiques. Il évoque la beauté de ces hommes, leur mariage, leur appartenance à l'Etat qui les acquiert par les fonds du Trésor des musulmans et les reverse au Bayt al-Mâl "après la mort ou la destitution de leur maitre. Ces considérations pourraient nourrir de  plus amples questionnements sur ce qu'être choisi, appartenir et obéir signifiaient pour cette société et sur les multiples manières d'être mamelouk à l'époque. Dans ces débats, l'auteur apporte néanmoins une contribution significative : il démontre que clamer une origine circadienne, dans les deuxième phase de l'existence de cet Empire, -  "que cette revendication ethnique fût fondée ou entièrement fictive" - constituait un moyen efficace d'intégration à cette société militaire. Cette question de la narration de soi et des appartenances ethniques saisies comme fiction peut aider à renouveler notre approche du "phénomène mamelouk" et plus généralement de la dépendance sociale en contexte musulman.

Cependant, ce qui oriente davantage cette recherche, ce n'est pas tant les processus de catégorisation de ces hommes que leur volonté de s'ancrer dans une société. Au terme de l'ouvrage, l'auteur affirme sa volonté de se tenir à distance de deux approches des mamelouks : d'une part, d'une vision négative qui a délégitimé cette forme de pouvoir et à l'inverse, d'une lecture plus compréhensive d'un régime toujours en quête de légitimité. L'auteur veut délaisser cette question de la légitimité, car il la juge anachronique. Selon lui, elle ne se posait pas aux mamelouks car ceux-ci n'avaient pas "honte de leur passé servile". Cherchant à emprunter une toute autre voie, Julien LOISEAU préfère interpréter cette expérience de pouvoir en mouvement, comme la "poursuite d'une sédentarisation inaccessible, léguée comme un rêve à leurs descendants, jamais atteinte sinon à titre posthume". Ce qu'il veut comprendre en somme c'est une tension permanente entre, d'une part, la nécessaire perpétuation du pouvoir mamelouk, et, d'autre part, le renouvellement contraint à intervalles réguliers des corps mamelouks par la traite et du fait de l'intégration progressive des mamelouks au sein de leur société d'accueil. On peut ajouter qu'il est assez fascinant d'observer là la rencontre entre une tradition nomade dont sont issus ces esclaves et une société qui a déjà fait le pari de la sédentarisation complète. 

C'est dans le cadre de cette tension permanente, que l'auteur entend donner sens aux oeuvres urbaines et architecturales ordonnées et financées par les élites mamelouks. Leurs palais, citadelles, tombes et fondations pieuses devaient incarner une "mémoire sédentaire". Ces bâtiments formaient "un patrimoine collectif" qui permettait à ces élites de revendiquer "un droit de préemption et d'usage". C'est dans cette même perspective que Julien LOISEAU explore de manière plus originale, la "tension jamais entièrement résolue" entre "volonté individuelle du souverain de transmettre son trône à sa descendance naturelle et le refus collectif des Mamelouks de transmettre leurs rangs" : selon lui, cette quête dynastique, souvent entravée par le collectif mamelouk, ne devrait pas seulement être interprétée en termes d'ambition familiale ; les périodes d'intérim dynastique constituaient en fait des temps de transition et d'attente, avant que ne se forme un nouvel équilibre parmi les émirs mamelouks.

Faut-il cependant aller jusqu'à inférer ce ces expériences singulières, l'idée d'une "virilité martiale" des mamelouks "à laquelle le plus féroce des fils d'Egypte, pas même l'un de leurs propres enfants, ne pourrait jamais prétendre"? Les mamelouks pouvaient-ils se targuer d'une virilité spécifique? (revendiquée aussi par d'autres populations et d'autres élites...) Comment d'ailleurs étudier plus généralement les masculinités dans le Proche-Orient médiéval? Cette conception attrayante mais à approfondir d'une "virilité martiale" est peut-être tributaire de la pensée d'IBN KHALDÛN à laquelle jean LOISEAU puise comme bien d'autres historiens qui ont consacré leurs travaux au phénomène mamelouk en général (et au problème arabo-musulman  médiéval d'ailleurs) : on perçoit ici ce fameux esprit de corps ou force historique ranimé génération après génération par de nouveaux venus. Mais si cette pensée khaldûnienne traduit des conceptions des acteurs de l'époque, comment se détacher de ce modèle écrasant (d'autant qu'il n'y a pas de modèle concurrent pour cette période!) pour le défier et pour comprendre autrement cette expérience du pouvoir? Peut-être n'est-ce tout simplement pas possible, vu l'état de la documentation actuelle...

Julien LOISEAU, Les Mamelouks, XIIIe-XIVe siècle. Une expérience du pouvoir dans l'islam médiéval, Seuil, 2014, 448 pages. 

M'hamed QUALDI, recension du livre dans Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n°140, décembre 2016, http://remmm.revues.org/9105.

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29 septembre 2017 5 29 /09 /septembre /2017 09:09

    Si l'image que l'on a aujourd'hui de l'Empire assyrien, qui est celle d'un Etat cruel, voué à la guerre et pratiquant cet art avec une cruauté raffinée, n'est pas vraiment démentie par l'ouvrage de Frederick Mario FALES, il y apporte un certain nombre de nuances. Pour le chercheur en sciences religieuses à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, l'un des meilleurs spécialistes de la deuxième grande période assyrienne, au vu des documents disponibles (textes et archéologie), s'il est vrai que les Assyriens affichent (et ne font pas qu'afficher) une politique de conquête sans merci, il est tout à fait vrai aussi que leurs souverains préfèrent les solutions pacifiques. Et que les peuples (même déportés) qui affirment leur allégeance à l'Empire restent libres d'honorer leurs dieux, de respecter leurs traditions culturelles et d'organiser même dans certains cas leur vie politique interne.

Ses quatre conférences prononcées en 2007 regroupées dans cet ouvrage concernent la période dite "néo-assyrienne", du IXe au VIIe siècle av JC. 

   Son étude de l'Assyrie fait suite à celle de Florence MALBRAN-LABAT, qui avait déjà en 1972, décortiqué les lettres des Sargonies trouvées à Ninive. Depuis cette date, les publications et re-publications des textes néo-assyriens se sont multipliées (S. PARPOLA), complétées entre autres par l'auteur de cet ouvrage, dans les années 1990.

Son ouvrage commence par établir un bilan historiographie de cette période historique, dont les premiers travaux y ont été consacrés depuis le milieu du XIXème siècle. La redécouverte de cette civilisation assyrienne à cette époque s'est faite dans l'enthousiasme, un enthousiasme peu regardant sur les réalités guerrières de l'époque. Depuis les horreurs des deux guerres mondiales, nous ne pouvons évidemment pas regarder toute cette documentation, qui se répartit entre inscriptions royales et grands bas-relief des palais, avec le même regard. D'autant que l'on découvert depuis, au fur et à mesure des recherches sur le terrain, les moins reluisantes pratiques de l'Empire assyrien. 

C'est que par exemple, les inscriptions royales insistent sur la destruction totale des villes et le massacre des ennemis (même si dans la pratique cela n'est jamais complètement réalisé), sur l'organisation du pillage (très important pour les partages "équitables" des butins), et sur les déportations massives des populations. Les lettres témoignent des difficultés logistiques d'acheminement des populations vers les lieux décidés par le souverain. 

Cependant, l'ouvrage se termine par une étude du concept de "paix". A l'intérieur de l'Empire, la sécurité était assurée par l'armée et l'administration civile. Avec les Etats alliés, les bonnes relations pouvaient être formalisées par des traités. La présence assyrienne permettait parfois de développer l'économie d'une ville ou d'une région. Avec les autres Etats souverains, les Assyriens auraient cherché la paix. La guerre, toujours considérée comme une violation à l'initiative de l'ennemi - vieille méthode qui se retrouve dans tous les Empires qui suivent - de cet état de paix, déchaînait la juste fureur divine et permettait au roi de se présenter comme celui qui cherchait à rétablir l'ordre cosmique. 

Des listes des principaux souverains, des figures très parlantes sont réparties dans l'ouvrage. Il est conseillé pour ces figures d'utiliser une loupe pour leur bonne compréhension (loupe matérielle ou loupe virtuelle).

Ce livre remarquable est conseillé à tous les étudiants et chercheurs intéressés par cette période.

 

Frederick Mario FALES, Guerre et paix en Assyrie - Religion et impérialisme, Editions du Cerf, 2010, 246 pages.

Brigitte LION, Compte Rendus, Généralités, tome 115- 2013, n° 1; Revue des Études anciennes. Florence MALBRAN, L'armée et l'organisation militaire de l'Assyrie sous les Sargonides, d'après les lettres (1470 en tout, ce qui est loin d'être rachitique...) trouvées à Ninive, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 4ème section, Sciences historiques et philologiques, Annuaire 1971-1972, 1972.

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22 septembre 2017 5 22 /09 /septembre /2017 13:19

     A travers huit articles parus entre 1914 et 1916 dans la presse allemande, Georg SIMMEL (mort en 1918), se positionne face à la guerre en Europe. Il le fait, comme nombre de philosophes de part et d'autre du Rhin, en soutenant son pays, dans une perspective belliciste, tout comme Henri BERGSON le fait en France. On peut mesurer comment les philosophes, qui s'expriment là bien plus en penseurs du lien social qu'universitaires, peuvent s'aveugler en pleine Grande Guerre. Georg SIMMEL en particulier  suit un courant que situe bien dans une post-face à cette édition, Jean-Luc EVARD, par ailleurs éditeur et traducteur de ces articles. Le nationalisme bien partagé ne suit pas exactement les mêmes méandres de la pensée en Allemagne et en France, mais il y a bien chez eux la conscience que l'avenir de l'Europe se joue  à travers le modèle industriel et consumériste américain, déjà bien présent dès les dernières années du siècle précédent.

    Chez Georg SIMMEL en particulier, domine le sentiment que la guerre peut apporter les bouleversements nécessaires en Europe pour un sursaut civilisationnel. Ceci dans une épreuve douloureuse, personnelle et intellectuelle, notamment lorsqu'il s'adresse aux philosophes de la même école de pensée que lui en France et aux Etats-Unis. SIMMEL, pour Jean-Luc EVARD, "inscrit (l'évènement qu'est la Grande Guerre) dans un ensemble plus vaste : non pas l'axe du temps historique, mais l'espace géopolitique où le duel de 1789 et de 1914 se complique du fait de la présence d'un tiers exclu de moins en moins lointain, l'Amérique. L'Amérique, c'est l'Europe, mais réduite à un parc industriel et au "culte de Mammon" (N'oublions pas que le philosophe allemand a consacré tout un livre à la sociologie de l'argent), et elle incarne par excellence ce que Simmel, en adepte intégral de Nietzsche, appelle "la tragédie de la culture", la menace signifiée à "l'homme intérieur" par l'utilitarisme, subordination intégrale des moyens de l'existence à ses fins. La tragédie personnelle de Simmel, dans la tragédie collective, tient à sa certitude qu'en réalité l'Amérique a déjà commencé de modeler la vie européenne, avant d'y envoyer ses contingents, la guerre précipitant donc un processus endogène sur lequel la logique des alliances n'a pas d'influence réelle ni profonde. L'avenir américain d l'Europe ne rapproche pas les deux philosophes de la vie (BERGSON et SIMMEL), il cristallise au contraire un différend entre Européens sur leur destin commun. En sociologue, Simmel est bien placé pour savoir que l'avenir de l'Europe est "américain" (sans la guerre il le serait aussi) et que c'est même à ce destin du monde que la sociologie doit sa naissance et sa raison d'être - si, par "Amérique" on désigne, dans la langue de Weber, le "désenchantement du monde", concomitant à sa rationalisation. Il sait de plus que, des trois grandes puissances européennes entrant en guerre en 1914, l'Allemagne est en trait de ravie à la Grande-Bretagne la place de premier moteur de cette américanisation des sociétés américaines. A la différence de Bergson, sa culture de guerre le met donc en contradiction frontale avec le cours géopolitique de l'événement : la guerre avec les Etats-Unis porte en elle une symbolique historique aux effets destructeurs pour les buts de guerre allemands. Simple ne se cache pas de la penser : l'un de ses article, celui précisément qu'il intitule "l'Europe et l'Amérique", et qui, datant d'avril 1915, est antérieur de deux ans à l'entrée en guerre des Etats-Unis, lui vaudra les foudres et la censure de l'état-major impérial (...)". Dès l'entrée en guerre et à la lecture des articles contenu dans ce livre, on le voit clairement, Simmel multiplie les signaux de son adhésion à un certain nationalisme ultra que l'on retrouve dans les organisations politiques les plus réactionnaires d'Allemagne. Le traducteur de ces lettres demande d'apprendre à décrypter ces lettres deux fois et c'est pourquoi il faut les lire lentement. "On reste frappé, écrit-il, par le caractère hétérogène et mal ficelé de la "doctrine de guerre" de Simmel : pas de nationalisme politique, mais une adhésion sans réserve au nationalisme culturel ordinaire de l'intelligentsia allemande ; pas d'accents réellement martiaux, mais une méconnaissance profonde de la matérialité de la guerre et un pathos de certains accents voilés de l'oeuvre philosophique et anticipe sur la carrière fulgurante d'un thème comme celui de l'"homme nouveau". (...)".

      Ces articles "L'idée d'Europe" (7 mars 1915, Berliner Tageblatt), "Deviens ce que tu es" (10 juin 1915, Der Tag), "L'Europe et l'Amérique, Considérations sur l'histoire universelle" (4 juillet 1915, Berliner Tageblatt), "La crise de la culture" (13 février 1916, Frankfurter Zeitung), "La dialectique de l'esprit allemand" (28 septembre 1916, Der Tag), "Transmutation de l'âme allemande" (conférence à Strasbourg en novembre 1914), "Eclairer l'étranger" (16 octobre 1914, Frankfurter Zeitung) et "Bergson et le "cynisme" allemand" (1 novembre 1914, Internationale Wochenschriftt für Wissenschaft, Kunst und Technik) indiquent qu'une certain sombre ombre pourrait "entacher" l'ensemble de son oeuvre, surtout pour un public intellectuel non allemand. Mais, outre que les hommes agissent et écrivent sans savoir l'histoire 'politique et philosophique) qu'ils font, pour l'oeuvre de Simmel comme pour celle de beaucoup d'autres, la postérité intellectuelle ne se mesure jamais seulement en fonction du contexte dans lesquelles elles émergent et perdurent. Elles influencent, de par leur contenu, bien plus que de par leur objectif les générations qui suivent. Et singulièrement, si Simmel semble s'égarer dans les eaux d'un certain obscurantisme socio-politique à mille lieues de ses études sur le conflit, c'est non par incohérence personnelle, mais parce (on pourra faire toutes les réserves qu'on veut) il est périlleux pour des philosophes ou sociologues comme lui de s'aventurer dans des eaux non familières, dans lesquelles ils ne sont ni à l'abri des humeurs collectives, ni à l'écart de toutes possibilités de manipulations et de récupérations diverses...

    Il faut lire les commentaires du germaniste Jean-Luc EVARD, à la suite de ces traductions, car il permet, par un regard distancié critique, d'à la fois comprendre et réfléchir sur ce que signifie réellement ces articles souvent véhéments.

 

Georg SIMMEL, Face à la guerre, Écrits 1914-1918, Edition de Jean-Luc EVARD, Éditions Rue d'Ulm/Presses Universitaires de l'Ecole normale supérieure, 2015.

 

 

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20 septembre 2017 3 20 /09 /septembre /2017 11:44

    Publié en 2001, l'ouvrage du général FORGET n'est pas un livre d'histoire, même si l'histoire en constitue la trame. Il retrace de façon synthétique l'évolution de la place des forces aériennes dans la définition et la conduite des stratégies. Selon son propre auteur, il s'agit de dégager les expériences acquises, les enseignements susceptibles de concerner les forces aériennes de demain, leur rôle, leurs concepts d'emploi, le degré de leur complémentarité avec les autres forces, le tout dans un environnement mouvant où l'espace tient une place de plus en plus importante.

Le général FORGET met à contribution également sa propre expérience de nombreux commandements d'unités opérationnelles. De 1979 à 1983, il a commandé la Force aérienne tactique et la 1er Région aérienne à Metz, structure primordiale à l'époque, de l'Armée de l'air. Depuis qu'il a quitté le service actif, en 1983, il se consacre à des études sur la Défense. 

    Entendant par stratégie militaire, l'art de faire concourir les armées à la réalisation des desseins fixés par le politique , puissance aérienne, la capacité d'utiliser l'espace aérien pour des actions offensives et défensives, et pour le soutien opérationnel et logistique des forces, tout en privant l'adversaire de cette possibilité et par stratégie aérienne, l'art d'utiliser la puissance aérienne dans la stratégie militaire, le général FORGET dresse en trois grandes parties une fresque de référence dans le domaine. En effet, rares sont les ouvrages qui traitent de la stratégie aérienne d'une manière aussi globale et aussi précise, en tout cas en langue française.

    Avec quantité de tableaux et d'illustrations diverses, l'auteur nous fait toucher concrètement, au-delà de l'exposé parfois aride des stratégies aériennes, la réalité de cette puissance-là. Ne laissant dans l'ombre ni les grandes erreurs des états-majors (y compris français), ni les contradictions internes aux armées de l'air et externes avec les autres composantes des forces armées, il parcourt cette expérience, des deux guerres mondiales au monde d'aujourd'hui. N'hésitant pas à entrer dans le détail des opérations aériennes historiques, ni dans celui des techniques de l'aérien, il sait s'élever dans des vues globale, qui ne se limitent pas à l'énoncé des théoriciens stratégistes. 

   Il établit à la fin du livre un bilan et des perspectives de la puissance aérienne, notamment en tenant compte des tous derniers développements dans l'aéro-spatial. 

"De l'aéroplane des années 1910 au fait aérien né pendant la Grande Guerre, du fait aérien à la puissance aérienne révélée pendant le deuxième conflit mondial, de la bombe d'Hiroshima à la surveillance permanente de la Bosnie et aux frappes dans les Balkans, les forces aériennes ont apporté la preuve de leur capacité d'adaptation aux contraintes des stratégies les plus diverses. Mieux, ces stratégies, elles les ont marquées d'une empreinte de plus en plus forte jusqu'à y jouer un rôle essentiel.

Rôle essentiel, mais certainement pas rôle exclusif : la puissance aérienne est en effet inséparable des notions de puissance terrestre et de puissance navale, notions qui se complètent, se recouvrent et de toute façon interfèrent entre elles. Douhet n'est plus. Il est allé trop loin dans sa vision prophétique à bien des égards quant au rôle des forces aériennes dans la guerre. Sa doctrine a montré et montre chaque jour davantage ses limites. Personne ne doit douter aujourd'hui que, sauf en cas de crises très particulières, aux enjeux limités, l'occupation du terrain, d'une façon ou d'une autre, est une nécessité. Personne ne doit douter du caractère indispensable du maintien d'une certaine liberté d'action sur mer, pas plus que de l'intérêt des marines pour la projection au loin de forces et pour le soutien de celle-ci. Cela signifie aussi, en retour, que puissance terrestre et puissance maritime sont des notions vides de sens si elles n'intègrent pas elles-mêmes la notion de puissance aérienne prise dans son ensemble.

Puissances aérienne, terrestre, maritime se caractérisent ainsi essentiellement par leur complémentarité - la complémentarité, mot clé pour la conduite de toute stratégie militaire - même si les forces aériennes sont pratiquement toujours engagées les premières, même si elles sont remarquablement adaptées aux actions de rétorsion - signal annonciateur d'une offensive  plus large si l'adversaire poursuit - même si enfin les opérations peut être à dominante aérienne, au même titre qu'elles peuvent être à dominante aéroterrestre ou aéronavale.

Conduire alors des actions aériennes indépendantes dans les domaines tactique, opératif ou stratégique, actions dont les effets sont redoutables compte tenu de la puissance des systèmes d'armes actuels, est une chose. Tout miser sur de telles actions pour contraindre un adversaire résolu et tenace à capituler en est une autre, très discutable. Elle est même un leurre. La Deuxième Guerre mondiale l'avait déjà prouvé, au moins dans le domaine stratégique. Les frappes contre l'Irak, après la guerre du Golfe le confirment. Quant aux actions déclenchées dans les Balkans en mars 99, elles ont montré, par leur durée inattendue, les limites d'un tel concept. Elles relèvent de la notion plus ou moins avouée, importée d'outre-atlantique, de la guerre "zéro mort". Notion dangereuse et qui, de plus, conduit à celle de la guerre "zéro perte en matériel aérien", compte tenu du coût de ces matériels, de la diminution même du volume des flottes et surtout de la résonance médiatique, donc politique, de telles pertes éventuelles. Il en résulte des conditions d'engagement certes plus sûres des forces aériennes, engagement à haute altitude sous la protection d'un solide environnement de contre-mesures électroniques, hors de portée aussi de l'artillerie aérienne et des missiles sol-air genre SA7, Stinger, voire SA6... En revanche, l'identification des objectifs devient dans ces conditions plus difficile tandis que les aléas météo pèsent de façon plus sévère sur le déroulement des opérations elles-mêmes. La puissance aérienne s'en trouve affaiblie.

Ainsi la puissance aérienne, pour être bien admise, doit-elle être replacée, en tant qu'élément de la puissance militaire, dans son véritable contexte, un contexte interarmées. Le développement des systèmes satellitaires ne fait d'ailleurs que renforcer le propos."

 

Général FORGET, Puissance aérienne et stratégies, Economica, 2001, 362 pages. 

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16 août 2017 3 16 /08 /août /2017 08:10

  En partie centré sur les bombardements nucléaires au Japon en 1945, ce petit livre, qui reflète assez bien l'opinion majoritaire américaine aujourd'hui concernant ceux-ci, évoque presque toute la gamme des arguments sur l'inutilité des bombardements aériens. A l'encontre de la doctrine officielle initiée par le général Giulio DOUHET (1869-1930), les bombardements aériens, pour destructeurs qu'ils soient, n'ont jamais entamé, où qu'ils soient effectués, le moral des populations en guerre et ont plutôt renforcé à chaque fois le soutien de celles-ci au pouvoir politique, quel que soit sa nature, démocratie ou despotisme. Concernant le Japon, la décision de capituler date d'avant ces bombardements atomiques, comme l'attestent de nos jours pratiquement toutes les sources. Sur une utilité strictement militaire, la grande imprécision des bombardements massifs fait qu'ils détruisent bien plus d'habitations que d'usines ou d'installations militaires.

     Mais Howard ZINN (1922-2010), qui a lui-même participé de plein gré à des bombardements, dont celui de la ville de Royan, en France, et qui a accueillit avec joie le bombardement d'Hiroshima parce qu'il mettait, dans l'esprit des opinions publiques d'alors, à la guerre mondiale, insiste surtout sur l'aspect moral de ces actions militaires. Alors que les Alliés se targuent d'appartenir à une civilisation démocratique en lutte contre le démon nazi ou contre la dictature nippone, quelle différence y-a-t-il entre eux dès lors qu'ils utilisent les mêmes moyens immoraux de faire la guerre. Tuer des civils, indistinctement hommes, femmes et enfants peut-il avoir une justification quelconque quand on se réclame d'une société qui entend respecter les droits de l'homme et du citoyen? 

    Ce livre entendait en 1995 faire contrepoids aux discours officiels - de moins en moins tenables d'ailleurs - qui entouraient la célébration du cinquantième anniversaire des bombardements nucléaires. Sa réédition en 2010 (au 65ème anniversaire) s'inscrit dans un ensemble de littératures scientifiques et journalistiques leur déniant toute utilité, et replaçant les bombardements plutôt dans le début de la guerre froide entre les Etats-Unis et l'URSS. Au moment où les gouvernements martèlent qu'ils entendent lutter contre le terrorisme, la mise en perspective de ces bombardements permet de qualifier précisément les Etats de terroristes, et ce ne sont pas les récents bombardements d'Irak ou de Syrie qui vont démontrer le contraire...

      Divisé en deux parties, Hiroshima, briser le silence et Le bombardement de Royan d'avril 1945,  ce dernier se révélant comme le résultat d'une succession d'erreurs du commandement allié, le livre apporte quantité d'arguments, références nombreuses à l'appui, sur l'inefficacité et l'immoralité non seulement des bombardements nucléaires mais de tous les bombardements massifs par voie aérienne. On ne peut qu'être frappé du nombre important de témoignages d'acteurs (pilotes, gradés, responsables politiques et militaires) culpabilisés après coup à cause des destructions des vies humaine (qui se comptent par centaines de milliers...) causées par ces bombardements.

Reproduisons ici simplement les dernières lignes de ce livre : "On peut toujours attribuer, en toute légitimité, une responsabilité à autrui. Pour l'exemple, film remarquable (Joseph LOSEY, 1964) ayant pour trame la Première Guerre mondiale, raconte l'histoire d'un paysan naïf qui, écoeuré de la boucherie des tranchées, décide un jour de déserter. En Cour martiale, au terme d'un procès en deux étapes, il est condamné à mort. Bien que personne ne considère vraiment que son exécution est justifiée, les officiers ayant pris part à une étape peuvent imputer la responsabilité du verdict à ceux qui ont participé à l'autre. En fait, le tribunal de première instance l'a condamné pour l'exemple, et souhaite au fond que le verdict soit renversé en Cour d'appel. Cette dernière, qui confirme plutôt le jugement, peut faire valoir que la condamnation à mort ne relève pas d'elle. L'homme est donc fusillé. On rappelle qu'une telle façon de faire remonte à l'Inquisition, où l'Eglise seule mentit le procès alors que l'Etat se chargeait de l'exécution, si bien qu'on ne pouvait savoir qui de Dieu ou des hommes était à l'origine de la décision.

Le mal qui fait aujourd'hui l'objet d'une production de masse, exige une division du travail de plus en plus complexe, si bien que plus personne ne peut être tenu directement responsable des horreurs ayant cours. Cependant, tout le monde porte une responsabilité négative, car n'importe qui peut tenter d'enrayer la machine. Bien entendu, rares sont qui disposent des outils nécessaires, mais il reste aux autres leurs mains et leurs pieds. La capacité de nuire à cette terrible progression est donc inégalement répartie, si bien que le sacrifice à consentir varie selon les moyens donc chacun dispose. Dans cette transformation perverse de la nature qu'on appelle société (la nature semble outiller chaque espèce selon ses besoins propres), plus grande est la capacité d'un individu de s'opposer au mal, moins pressant est son désir de le faire.

Ce sont les victimes désignées, celles d'aujourd'hui comme celles de demain, qui en éprouvent le plus grand besoin et qui ont le moins de moyens à leurs disposition. Il ne leur reste que leurs corps (ce qui pourrait expliquer pourquoi la rébellion est un phénomène si rare). Voilà qui pourrait inciter ceux d'entre nous qui, non contraints à l'usage de leurs seules mains nues, souhaitent le moindrement voir la machine s'enrayer, à s'engager dans la recherche d'une issue à l'impasse sociale.

Il est possible qu'un tel choix exige de dénoncer les croisades mensongères, ou à tout le moins telle ou telle opération ayant lieu dans le cadre d'une campagne légitime. Il ne faut cependant jamais se laisser paralyser par les gestes d'autrui, par les vérités d'une autre époque. Il faut agir en son âme et conscience, au nom de notre humanité commune et à l'encontre de ces abstractions que sont le devoir et l'obéissance."

 

Howard ZINN, La bombe, De l'inutilité des bombardements aériens, Lux éditeur, 2011, 90 pages

 

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6 juin 2017 2 06 /06 /juin /2017 08:37

   Rédigé au moment où la bataille fait encore rage entre les tenants du néo-libéralisme et les partisans du multilatéralisme, entre les défenseurs des fonctions protectrices des Etats et ceux du libre-échangisme sans contraintes, notamment sociales, ce plaidoyer pour l'ONU, organisation internationale d'Etats, est plutôt le bienvenu. S'il ne fait pas du tout l'impasse sur les faiblesses et les insuffisances des Nations Unies, il montre qu'a contrario, son absence serait encore plus préjudiciable à l'état des relations internationales. Autant sur la paix et la sécurité internatlonales que pour les droits de l'homme, l'action humanitaire, le développement et la lutte contre les changements climatiques, l'ONU et ses organismes spécialisés s'avèrent indispensables.

   Jean-Marc de LA SABLIÈRE est aux premières loges dans l'organisation dont il décrit le fonctionnement, les réussites et les échecs, car représentant permanent de la France auprès des Nations Unies de 2002 à 2005. Sans complaisance, il nous invite à un voyage à l'intérieur des Nations Unies, de ces assemblées générales aux discours particulièrement soporifiques et particulièrement décevants pour tout observateur extérieur, à ces réunions du conseil de sécurité où, de temps en temps, des paroles fortes résonnent dans la marche du monde. Mais aussi dans certaines méandres où avancent - et parfois stagnent ou reculent - l'élaboration de traités, d'accords, de conventions qui marquent, bon an mal an, la planète entière. 

  Le relativement court voyage que nous propose l'auteur, actuellement en charge à Science Po (PSIA) du séminaire sur le Conseil de sécurité, conduit, historiquement d'ailleurs, aux tentatives de réforme de l'organisation internationale. Conscient des difficultés de poursuite de sa mission, il ne cesse au fil de ces pages, ne nous faire comprendre en quoi l'ONU est indispensable. Seul forum mondial permanent, seul lieu de rencontre de responsables de tout genre, de toutes les nationalités, de toutes les religions, de toutes les idéologies aussi, l'ONU s'est heureusement ouverte à la société civile, notamment dans tous ses organisme spécialisés, et cela se révèle une force certaine ) l'heure du déclin - réversible sans doute mais bien présent - des Etats. Même si les tentatives de réforme de cet organisme tentaculaire, procédurier, terriblement bavard, sont pour l'instant de résultat limité, Jean-Marc de LA SABLIÈRE pointe celles qui lui paraissent, comme aux yeux de nombreux acteurs ou observateurs, nécessaires. Que ce soit sur les méthodes de travail, où les choses progressent petit à petit, sur la question du veto pour rendre l'exercice de ce droit plus difficile ou pour l'exclure dans certains cas, cher veto que les puissance permanente du Conseil de sécurité veulent conserver à leur discrétion, sur la composition du Conseil de sécurité où ni l'Afrique, ni l'Amérique Latine ne sont présents, où voudraient enter Japon, Allemagne et bien d'autres, les choses évoluent très lentement. De toute manière, la crédibilité du Conseil de sécurité, comme de l'organisation toute entière dépend beaucoup pour l'avenir du devenir de ces réformes... La capacité de l'ONU à rassembler se révèlent souvent, celle de s'assurer que ses recommandations deviennent opérationnelles beaucoup moins. "Finalement, les Nations unies n'ont certainement pas rendu le monde parfait, loin de là, mais c'est un bien commun trop précieux pour que nous n'ayons pas l'ambition de le défendre et de le réformer", conclut-il.

 

Jean-Marc de La Sablière, Indispensable ONU, Plon, collection Tribune du monde, 2017, 200 pages environ.

 

 

 

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27 avril 2017 4 27 /04 /avril /2017 09:44

  Contrairement à ce que voudrait nous faire croire une "bonne" presse, très versée dans la défense de la mondialisation, les plaidoyers pour un droit au service de peuple ne sont pas autant de prêches dans le désert. Ils s'appuient, comme le montre ce petit livre, sur des luttes concrètes, menées souvent pied à pied, contre des systèmes de dette où les institutions financières opèrent presque toujours dans le "bon" sens du manche. La petite dizaine d'auteurs de ces contributions, ici compilées, avocat ou professeurs d'université, indique comment les différents acteurs qui se sentent lésés par un certain fonctionnement du système financier, peuvent utiliser le droit international existant et le faire évoluer, dans leur sens.

Le groupe de travail du CADTM, dans un séminaire de 2002, part d'une analyse du Pacte sur les droits économique, sociaux et culturels datant de 1966. Comme ils l'écrivent dans un avant-propos, "il s'agissait d'examiner comme ce pacte pouvait être mis en application, sur base d'arguments et de moyens juridiques, dans le but de parvenir à la satisfaction effective de ces droits fondamentaux. (...) est-il possible d'obtenir l'annulation de la dette du Tiers-Monde en se basant sur la notion de "dette odieuse", doctrine juridique déclarant nulles et non avenues les dettes contractées par des régimes despotiques? " Plusieurs cas ont examinés par ces auteurs, qui présentèrent leur travail au Tribunal international des peuples sur la dette de Paris de février 2002. Dans un deuxième séminaire, le CADTM poursuit la réflexion sur l'"applicabilité des traités économiques, sociaux et culturels face au Consensus de Washington et aux Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté." Il s'agissait également de réfléchir à la manière de rendre responsable pénalement les institutions financières internationales et les gouvernements pour l'application de ces politiques d'ajustement contraires aux droits humains, ainsi que les transnationales, pour les graves violations des droits humains dont elles se rendent coupables dans certains pays. "L'objectif étant en effet, à moyen terme, de constituer un arsenal juridique permettant de traiter le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale (Bm) en justice pour complicité de crimes contre l'humanité." Le CADTM étudie également la question de la dégradation de l'environnement et l'impact de cette dégradation sur les populations, visant des institutions comme la Banque asiatique de développement dans l'imposition de méga-projets nuisibles aux populations de nombre de pays. Un troisième séminaire à Amsterdam produit "une analyse approfondie de l'impact des plans d'ajustement sructurel sur les populations. En 2004, un quatrième séminaire a pour objet la construction d'un ordre international alternatif.

Ce petit livre, riche de plusieurs expériences concrètes, "a pour objet d'offrir un aperçu plus approfondi des travaux réalisés au cours des quatre séminaires (...). Un aperçu des thèmes étudiés par le CADTM dans son travail sur le droit international, une sorte de tour d'horizon permettant à la lectrice, au lecteur, de mesurer l'étendue du champ d'analyse et d'action qui s'ouvre à toutes celles et à tous ceux qui veulent oeuvrer à la transformation profonde de notre société. Soulignons ici que ce travail n'implique pas nécessairement d'être juriste, ni porteur de diplômes spécialisés. Le CADTM s'entoure de nombreuses personnes de référence lui permettant de mener à bien ses recherches et de construire des actions efficaces, mais chacun(e) peut participer à cette élaboration selon ses propres capacités et centres d'intérêt : il s'agit pour chacun(e) de se répartirai le droit comme instrument de lutte pour la justice sociale. De la même manière que l'on prétend que l'économie est affaire de spécialistes, on voudrait laisser le droit entre les mains des savants, et nous faire croire qu'il n'est pas à notre portée. C'est faux. Nous espérons que ce livre contribuera à en faire la démonstration, et qu'il vous donnera le goût d'en apprendre ou d'en faire davantage."  Sont examinés successivement pour la question de la dette odieuse le cas de l'Argentine, de l'Indonésie et du Congo, pour celle de la dette écologique, le cas de l'Inde, cas d'espèces qui permettent d'illustrer, car il y a bien d'autres pays dans lesquels ces questions sont soulevées, ce que pourrait être l'audit citoyen de la dette, les procès pour dettes illégitimes, les sanctions de la responsabilité des institutions financières internationales...

  Pour ceux qui estiment que le combat de groupements comme le CADTM est condamné à demeurer marginal, il leur suffit de se reporter à l'actualité internationale de ces dix dernières années, que ce soit dans les pays d'Amérique Latine ou en Europe. Nombre de forces politiques ont repris ce thème de la dette odieuse afin de renégocier les montants et les échéances de nombreuses dettes, s'attirant d'ailleurs de véhémentes attaques de la part d'une presse largement inféodée (même si cela demeure discret par la majorité des lectorats et des visionneurs des actualités télévisées) à des groupes financiers aux activités multiples. Ces forces ont obtenu de grands résultats, même si les institutions internationales financières refusent de le reconnaitre, et qui se traduisent économiquement et politiquement : annulation  effective d'une grande partie des dettes, dans un recalcul des taux et des échéances, distingo entre dettes légitimes et dettes illégitimes. Par ailleurs, il fait remarquer que faute de succès décisifs en la matière, la mondialisation risque de devenir une idée de plus en plus minoritaire, laissant la place à des politiques nationales ou régionales restrictives....

 

CADTM, Le droit international, un instrument de lutte?, Pour une justice au service des peuples, CADTM/Editions Syllepse, décembre 2004, 175 pages.

 

 

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