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9 avril 2022 6 09 /04 /avril /2022 13:05

    Comme l'indique le quatrième de couverture, "les épidémies constituent avec la guerre le plus grand fléau du monde médiéval. Récurrentes, elles atteignent leur paroxysme avec la grande peste ou peste noire, qui débute en 1347, semant terreur et désolation et provoquant en quelques années la disparition d'au moins un tiers de la population européenne." Ce livre du docteur en histoire, spécialiste de la civilisation médiévale, retrace l'histoire de cette peste et des conséquences multiples qu'elle a engendrées (démographiques, économiques, sociales, psychologiques). François de LANNOY évoque aussi les autres épidémies, moins connues comme le mal des ardents ou les différentes fièvres éruptives. La lèpre omniprésente est également abordée. "Toutes ces maladies, devant lesquelles l'homme médiéval est resté impuissant, ont obscurci les derniers jours du Moyen-âge et marqué durablement la mémoire collective. On doit toujours les garder à l'esprit (ce que beaucoup d'historiens et d'écrivains de livres d'histoire ne font pas), en arrière plan, lorsque l'on étudie cette période". A l'issue de la lecture de ce beau livre, riche d'une belle iconographie, on a l'impression que plus que cela : on devrait sans doute à chaque épidémie décrire un monde d'avant et un monde d'après dans la chronologie des événements. En évoquant la trame de l'histoire du Moyen-Âge européen que l'auteur si là entre le VIe et le XVe siècles, on s'aperçoit que tout change, les réalités et les représentations des réalités.

  Si les épidémies médiévales ont depuis longtemps intéressé les historiens et si de nombreuses études sur ce sujet ont été publiées au XIXe siècle, souvent par des médecins, depuis une soixantaine d'année, l'ouvrage recensé ici date de 2018, le développement de l'histoire sociale et économique (par exemple dans l'Histoire économique et sociale du monde, de....) ou encore démographique, a conduit  les historiens à se pencher de nouveau à ce sujet et à exploiter de nouvelles sources, avec des approches différentes. Le Dr Jean-Noël BIRABEN, Élisabeth CARPENTIER, Françoise BÉRAC, Pierre-Olivier TOUATI et bien d'autres ont renouvelé la vision que l'on avait des épidémies médiévales. Cet ouvrage se veut une synthèse de l'état des connaissances sur ce sujet. Il insiste particulièrement sur les maladies les plus documentées : la peste et la lèpre.

  En cinq grands chapitres sont évoqués ce grand fléau qu'est la peste, les moyens de lutte contre elle, ses conséquences, quelques autres épidémies (mal des ardents, fièvres éruptives ou non, dysenterie, typhus et scorbut) et la lèpre.

 

Les mesures contre la peste...

On voit qu'un des premiers moyens dans des sociétés imprégnées de religion est l'organisation de prières collectives et de grandes processions, que l'on préfère dans un premier temps à des mesures "médicales". Ces mesures en fait, tendent à accélérer la progression de la peste. Ces mesures s'inspirent de la croyance en l'infection de l'air et ce qui domine c'est la fuite devant la progression de la peste. Dans les grandes villes, la fuite concerne surtout les notables qui possèdent un point de chute à la campagne. Dans d'autres villes, tout le monde fuit. Enterrement des morts dans des cimetières fondés ad hoc, brûlement des morts semblent être les seuls moyens d'enrayer l'épidémie... L'isolement et le traitement des malades font partie des mesures contre l'infection. Les mesures d'hygiène sont prises plus tard et les mesures de propreté figurant dans les règlements municipaux antérieurs à la grande peste ne s'appliquent pas aux rues. C'est au moment de cette grande peste que les édiles  commencent à se préoccuper de la propreté des rues, pas toujours, pas partout...

 

Les conséquences de la peste

   La partie la plus intéressante car bien moins traitée dans maints ouvrages sur la peste, concerne les conséquences de cette épidémie. Elle sont pour nous un modèles dans le genre. Comme pour toutes les épidémies, ces conséquences sont de plusieurs ordres :

- Conséquences socio-économiques : la peste détruit des familles entières et provoque de grands trous dans le tissu social.  Au fur et à mesure des coupes, des tenues tombent en déshérence et retournent en friche. Des villages sont abonnés et même des villes, des chemins et des routes ne sont plus entretenues. Déclin démographique, rétrécissement des débouchés, baisse des prix s'ensuivent, et surtout, de plus ou moins grands transferts de population. Lesquels bouleversent les rapports de force sociaux.

Dans les villes, les pestes dépeuplent des rues, des quartiers. De nombreuses maisons sont abandonnées et des professions sont plus touchées que, d'autres, en raison de la proximité des rats : boulangeries, boucheries, corroyeurs, ouvriers du textile. Les chaudronniers, les dinandiers et les charrons sont moins touchés car leur activité génère un bruit qui fait fuir les rats.

La surmortalité dans les villes entraine une crise de main-d'oeuvre, l'augmentation des salaires et par la suite des prix. Les commerçants et les chefs d'atelier ne peuvent plus ou n'osent payer des salaires élevés et sont ruinés. Le manque de main-d'oeuvre se solde aussi par l'arrêt des grands chantiers et notamment des chantiers des cathédrales. La peste paralyse le commerce international, maritime et terrestre.

Les grandes mortalités contribuent à l'extinction de nombreuses maisons nobles ou dynasties bourgeoises. D'importants transferts de fortune se produisent et contribuent à l'émergence de nouvelles lignées, comme les Médicis à Florence. Les conditions testamentaires n'étant pas toujours observées, en raison de la disparition des notaires morts de la peste, des familles ou des ordres religieux en profitent pour opérer des captations d'héritages, ce qui entraine de nombreux conflits.

A cela il faut ajouter ce que plusieurs auteurs (PROCOPE, BOCCACE...) appellent une "décomposition sociale". La peste fait sauter en éclat les solidarités familiales, pourtant si forte dans les sociétés anciennes. Abandons des femmes et des enfants se muliplient...

 

- Conséquences psychologiques : Le fait que la peste soit connue à l'avance et ses progrès inexorables entraine des réactions incontrôlables dont les sources se font largement écho : fuite, ruée vers les autels mais aussi recours aux médecins, charlatans, illuminés et thaumaturges, sans parler des suicides. Cette angoisse a aussi trouvé son exutoire dans le massacre des prétendus fauteurs de peste, boucs émissaires, dont les Juifs, et dans l'hystérie collective des flagellants, qui constituent deux phénomènes très importants. Dans une ambiance de psychose, l'arrivée de la peste est souvent attribuée à des empoisonneurs. Après s'être attaquée aux mendiants et vagabonds, les populations se retournent souvent contre les Juifs. Parce qu'ils détiennent le petit et le grand commerce de l'argent (du fait même que l'Église interdit aux Chrétiens le prêt avec usure...), ils constituent une cible toute trouvée, dans un mélange de peur, de jalousie, d'autant qu'ils concentrent également parfois les métiers d'apothicaires, d'épicerie et de médecine (soupçons de manipulations de poisons de toutes sortes...°, et ce malgré l'intervention de certaines autorités locales et de princes... En France comme en Allemagne ou en Suisse, c'est le moment du plus grand mouvement de violence contre les Juifs, en Europe au Moyen-Âge

- Conséquences stratégiques et politiques : La peste n'empêche pas la poursuite de la guerre dite de Cent ans, mais entraine des arrêts courts au gré du passage de l'épidémie. A l'occasion de l'abandon de vastes contrées et donc de la protection de nombreuses routes, les brigandages se multiplient. Les exactions jettent alors sur les routes praticables les habitants des villages et des compagnes, ce qui contribue au développement de l'épidémie. Elles empêchent la mise en oeuvre des mesures d'isolement. Les déplacements des troupes en compagne favorisent l'extension de l'épidémie et on ne peut s'empêcher de penser qu'à des batailles qui laissent beaucoup de cadavres sur le sol, correspondent en fait à des extensions de la peste. En 1361 par exemple, les troupes anglaises passées par Paris infectent l'Anjou, le Poitou et la Bourgogne avant de ramener la peste en Angleterre.

Au gré des saignées dans les troupes, les "victoires" vont à un camp ou à un autre, et cela indépendamment de la valeur des capitaines ou des soldats. Tactique et stratégique sont frappées de ce que CLAUSEWITZ appellera plus tard un "brouillard de la guerre" à la puissance cent... Comme l'aléatoire prend le dessus, et rend incertain le rapport des forces entre Anglais et Français, cela ne fait que prolonger les guerres et ce n'est pas pour rien qu'on désignera sous le nom de Guerre de cent ans, une guerre traversée par la peste...

- Conséquences religieuses : La disparition de nombreux prêtres et religieux (la moitié en Angleterre), souvent victimes de leur dévouement au moment  des pestes, et l'affaiblissement de l'Inquisition (les dominicains ayant payé un lourd tribut à l'épidémie) contribuent à un certain relâchement des fidèles sans compter la redistribution des rapports entre les diverses branches de la Chrétienté. Pour combler les vides, l'Église ordonne rapidement de nombreux prêtres. Ces derniers,malformés, ne peuvent pas endiguer la résurgence des superstitions, des croyances magiques et païennes, réponse bien souvent au désarroi causé par l'épidémie. Ces résurgences conduisent aux grandes chasses aux sorcières qui débutent au XVe siècle et se poursuivent aux siècles suivants.

Par ailleurs, la conjonction de calamités (peste, famine et guerre) est à l'origine de la crainte eschatologique et de l'ambiance millénariste qui marquent la fin du Moyen-Âge. Ce contexte trouble, conséquence directe du traumatisme causé par la peste, a certainement contribué à la survivance des mouvements contestataires, tels que les fratricelles ou les dolniciens, apparus au début du XIVe siècle et remettant en cause l'ordre social et la hiérarchie catholique. Tour à tour, Cola de RIENZI (1313-1354), John WYCLIF (1330-1384), Jean HUS (1372-1415) évoquent ces temps troublés pour proposer leurs propres conceptions... Jean VITAUX  écrit que "la Réforme est en quelque sorte fille des interrogations eschatologiques déclenchés par la catastrophe de la peste". Le terme peste est utilisé par la suite sans restrictions lors des querelles religieuses.

- Conséquences artistiques : Les épidémies de peste des XIVe et XVe siècles ont modifié l'inspiration de l'art européen  en l'orientant plus qu'avant vers l'évocation de la violence, de la souffrance, de la démence et du macabre. Ces "projections iconographiques" peuvent être interprétées comme une manière d'exorciser le fléau. Ainsi, le thème de la danse macabre est né semble-t-il avec la peste de 1348-1349 et ne cesse par la suite d'alimenter l'inspiration des artistes jusqu'à l'extinction finale de la peste. La danse macabre est à la fois un avertissement pour les puissants et une source de réconfort pour les pauvres, mais aussi un appel à la conversion et à la méditation sur la fragilité de l'existence humaine.

   On lira aussi avec profit les textes sur quelques autres épidémies, et sur l'endémie qu'est la lèpre.

   La riche iconographie et les textes limpides de cet ouvrage constituent une bonne introduction pour l'introduction aux problématiques des épidémies dans l'histoire de l'humanité.

 

 

François de LANNOY, Pestes et épidémies au Moyen-Âge, Éditions Ouest-France, 2018, 130 pages.

 

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13 mars 2022 7 13 /03 /mars /2022 13:40

     Catastrophes et épidémies dans le monde gréco-romain, sous-titre de ce recueil de textes - notamment de citations des auteurs de cette Antiquité-là - permet de se faire une idée précise de l'impact et du vécu de ces fléaux. Un entretien avec Emanuela GUIDOBONI, présidente et responsable scientifique de la SGA (Storia Geofisica Ambiente) à Bologne de 1983 à 2007, précise le propos de ce recueil. Dépassant les frontières et les conflits entre disciplines, faisant appel aux données concernant géologie, histoire et sismologie, les chercheurs attachés à la SGA (ainsi qu'à l'EEDIS - Centro euro-mediterraneo di documentazione) s'attachent, notamment dans des pays comme l'Italie, où des tremblements de terre de forte intensité se produisent fréquemment, à relier leur histoire à celle des hommes, à comprendre leurs effets sur les sociétés humaines. Leurs recherches tendent à une périodisation qui dépassent celles usuellement utilisées pour l'histoire. Au-delà et les surpassant, les chronologies historiques qui se fondent grosso modo sur la succession des règnes d'Empire ou de principautés, se voient au moins relativisé par rapport aux événements de premier plan que sont les bouleversements apportés par le tremblements de terre. Et au-delà de ce que peut apporter l'archéo-sismologie, les autres catastrophes "naturelles" que sont les éruptions volcaniques, les raz de marée et les tsunamis, les fléaux environnementaux - climatiques, sécheresse, innondations, épidémies... font l'objet d'études qui dessinent une périodisation de l'histoire des sociétés bien éloignée de celle utilisée encore en histoire.

  Après des chapitres consacrés aux tremblements de terre, aux éruptions volcaniques, l'auteur de recueil présente des textes permettant de comprendre les réactions et les attitudes des grecs et des romains face aux épidémies et aux aléas climatiques.

"A la différence, écrit-il, des catastrophes qui mettent en question notre monde ou notre environnement vital physique, le monde extérieur, avec la pestilence - quatrième cavalier de l'Apocalypse - nous sommes en présence d'une calamité qui atteint désormais les vivants dans leur capacité même de vivre, dans leur corps, insidieusement, pour ainsi dire depuis l'intérieur."

"Mais ces maladies ne sont pas seulement des maladies qui tombent sur l'individu et puis s'en vont (... ou ne s'en vont pas), ce sont des épidémies. L'épidémie, par son mode de propagation, par le fait qu'elle se répand, produit aussi une représentation effrayante de la maladie, en lui donnant une sorte d'existence substantielle multipliable sous la forme du miasme, qui nous guette et vous attaque quoique nous fassions. Rien à voir avec la théorie microbienne et ce que nous appelons la contagion : même si certains auteurs antiques usent de ce terme, dans l'épidémie, le miasme n'est pas transmis par l'autre, il émane de l'air même que nous respirons et qui est vicié. Le remède n'est donc pas à chercher ni dans un certain confinement (comme on le fera au Moyen-Âge, avec celui des seuls malades, par l'institution des Lazarets), ni dans un évitements de l'autre : n'étant point de remède, c'est le lieu de l'épidémie qu'il faut fuir, comme le dira et le fera Galien. Quand toute une population est atteinte, elle est toute menacée, et la maladie acquiert aussitôt une présence : tout en ne donnant aucune prise, tout en restant invisible, insaisissable; elle ne permet aucune résistance. (...)".

D'HIPPOCRATE (Épidémies III, 13) à GALIEN (Sur ses propres livres, I,16 et III, 3) en passant par OVIDE (Métamorphoses; VII, 523-613), des auteurs antiques ont témoigné de ces caractères de l'épidémie.

Dans l'Antiquité, les épidémies sont mentionnées, intervenant de manière répétée comme les famines, et sont liées aux conditions matérielles de l'existence. Les historiens les plus observateurs de ces temps, les lient souvent aux guerres et aux privations. Elles frappent les mémoires et l'on peut établir des dates qui devraient compter dans tous les manuels d'histoire, comme autant de coupures dans la trame de l'histoire des contrées mentionnées :

- 430-426 avant J-C. Peste d'Athènes

- 165 après J-C. Peste dite antonine

- 249-262  Peste dite de Cyprien

- 541-543  Peste dite de Justinien (en fait recrudescence jusqu'en 749)

Elles sont racontées avec maints détails respectivement par THUCYDIDE (Guerre du Péloponnèse, Livre II, XLVII-LIV), par HÉRODIEN (Histoire des empereurs romains, I-36), AGATHIAS (Guerres et malheurs du temps sous Justinien, Livre V-1) et ÉVAGRE (Histoire ecclésiastique, Livre IV (Theodoret), 29), dont les textes sont rapportés dans ce recueil.

   Quant aux aléas climatiques, ils font l'objets de descriptions de PLINE L'ANCIEN, de SÉNÈQUE, de TITE-LIVE, de LUCRÈCE (celui qui va le plus loin dans une approche rationnelle des événements), de LIBANIOS, de DIODORE DE SICILE...

Ils sont, tout comme les épidémies, à l'origine de déplacements de populations, de déclins de certains zones ou de certaines routes, déplacements qui ont un grand impact sur la vie des Empires qu'ils traversent. Lorsqu'ils traversent un règne - et parfois ces événements sont mis à leur débit - ils creusent un avant et un après dont les historiens n'ont pas encore pris la mesure... Dans cette collection Signets des Belles Lettres, Jean-Louis POIRIER invite à la réflexion et à l'analyse sans entrer profondément dans celles-ci. Par ces textes, il rend accessible rapidement à des sources d'informations précieuses.

   Jean-Louis POIRIER,, chercheur en philosophie antique, a collaboré à l'édition et à la traduction des Présocratiques et des Épicuriens pour la Bibliothèque de la Pléiade.

 

Jean-Louis POIRIER, L'Antiquité en détresse, Catastrophes et épidémies dans le monde gréco-romain, Les belles lettres, 2021.

 

 

 

 

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12 mars 2022 6 12 /03 /mars /2022 09:42

    L'angle le plus évident et aussi le plus réducteur, car souvent vu de causalité unidirectionnelle, est le lien entre épidémies et évolutions de la population. Ceci parce qu'il se lit le plus facilement, est assez documenté dans le temps (encore qu'il existe des vides...) et peut se chiffrer. Certaines des études de ce lien poussent jusqu'à l'investigation sur les conséquences des épidémies, sur le plan économique, rarement jusqu'aux conséquences politiques...

   Patrice BOURDELAIS, de l'EHESS, fait en 1997 dans Annales de démographie historique, un bilan et un état des perspectives de recherches instructif à cet égard.

A partir du livre pionnier de Philippe ARÈS, publié au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (1946) où il souligne le recul de la mort et la limitation des naissances, révolution depuis deux siècles dans l'Histoire de l'humanité, jusqu'aux études de la fin des années 1990, se déploient selon lui trois séries de recherches, dans trois dimensions différentes.

- les déplacements de perspective, faits par les historiens du champ d'étude de la démographie : d'abord été étudiées en tant que facteurs explicatifs des crises de mortalité, elles on été étudiées pour elles-mêmes, dans la logique de leur propagation, dans leurs caractéristiques épidémiologiques, démographiques et dans leurs conséquences économiques, sociales, politiques et culturelles. Enfin les tentatives se sont multipliées afin de comprendre les systèmes complexes du domaine des micro-organismes et leurs relations réciproques avec les sociétés humaines.

Notons que si ces recherches ont été relativement intenses, leurs résultats n'ont pas débordé en audience le cercle des spécialistes dans ce domaine,n'ont pas bouleversé ni les périodisations historiques habituelles, ni les représentations des bouleversements économiques, sociaux ou politiques chez les historiens... La lecture de la littérature à ce sujet donne une impression de malaise quant à sa diffusion... C'est comme si, des travaux de ces spécialistes aux manuels d'histoire des écoles primaires et secondaires, s'effectuait une sorte de décrochage à ce sujet, encore plus sensible dans les livres d'histoire accessible au grand public (sans oublier les biographies...). Les épidémies ressemblent à des accidents, et l'Histoire reprend après elle comme avant...

- une seconde série concerne la recherche sur la grande période de baisse de la mortalité,qui résulte principalement de la disparition des épidémies les plus redoutées et de la limitation progressive des effets de celles qui perdurent. Impulsées souvent par les pouvoirs publics, dans des préoccupation de santé et d'hygiène publiques, elles ont été particulièrement nombreuses...

- la vague des recherches récentes, dont participe l'École française qui s'exprime dans les Annales de démographie historique, notamment depuis la fin des années 1970, s'accélère avec la brusque apparition du Sida en Europe comme aux États-Unis au début des années 1980 et de la résistance de certains germes aux antibiotiques.

 

Une question essentielle : la baisse de la mortalité.

  La question est de savoir si la baisse de la mortalité constatée depuis à peu près deux siècles est transitoire épidémiologiquement ou sanitaire. Entre une réduction de la fréquence et de l'ampleur des maladies infectieuses due à l'industrialisation et l'ensemble des politiques sanitaires des gouvernements et des organismes privés et sans doute par une combinaison des deux, les études se concentrent là où existent des statistiques fiables. La progression de la natalité est parfois plus importante que la baisse de la mortalité, mais pas toujours. L'unification microbienne du monde - notamment en ce qui concerne le choléra - contribue à une atténuation des épidémies, qui se transforment en pandémie.

 

D'autres perspectives

Au-delà de cette constatation, car il est difficile d'aller aux causes, l'élargissement des perspectives des historiens de la population permet, dès 1988, de prendre l'initiative de rassembler des contributions sur les principales épidémies du XIXe siècle (choléra, syphilis, tuberculose), ce qui illustre à quel point ils sont devenus les moteurs de l'étude des épidémies, même lorsque les approches ne sont pas seulement démographiques. On se dirige plus vers une perspective qui prend en compte les conflits entre épidémies et les divers germes présents dans le monde. Alors que l'on pensait que à la fin des années 1970 que dans les pays développés, les épidémies appartenaient au passé, l'épidémie du SIDA et maintenant du COVID obligent à tracer d'autres perspectives.

Même si les historiens de la population raisonnent encore aujourd'hui, comme le rappelle Patrice BOURDELAIS, au moins de manière implicite, d'après l'état de connaissances développé par Thomas MCKEOVEN (The modern rise of population, Londres, Edward Arnold) et par William H. MCNEILL (Le temps de la peste, essai sur les épidémies dans l'histoire, Paris, Hachette) en 1976. Il suffit de relire ces ouvrages pour percevoir à quel point les connaissances bactériologiques, immunologiques; épidémiologiques et génétiques sur lesquelles ils se fondent, ont été considérablement enrichies, parfois contredites, depuis un quart de siècle. Un véritable effort de synthèse intégrant toutes les découvertes médicales récentes est à accomplir, comme nombre de spécialistes le montrent.

Les travaux des historiens restent influencés par nombre de modes de pensée du passé, par les règles d'administration de la preuve en vigueur à chaque époque, ce qui rend difficile l'établissement même d'un bilan des recherches. Leurs travaux restent soumis aux effets des différentes prises de décision en matière de santé publique.

   Depuis la seconde guerre mondiale, l'orientation nouvelle des recherches sur les populations du passé a conduit à prêter une grande attention aux effets des épidémies sur l'économie et sur la croissance de la population, sur les prises en charge collectives de la maladie et sur les attitudes face à la mort. La rupture avec la démarche positiviste, qui avait prévalu  dans l'histoire de la médecine traditionnelle et qui stipulait que toute victoire sur les épidémies était le résultat des travaux et des interventions médicales et politiques, conduisit alors à privilégier les autres variables : caractéristiques de l'économie, structures sociales, logiques épidémiologiques et immunologiques, variations climatiques. Tous les aspects structurels qui échappaient à l'action volontaires des hommes.

Au cours des années 1970, à la suite du développement de la thèse provocatrice de MCKEOWN, des positions défendues par ILLICH et des études de Michel FOUCAULT, l'attention s'est portée davantage sur les manières dont les dangers épidémiques et la santé publique ont été pris en charge collectivement. Ce sont aujourd'hui les conséquences des actions des pouvoirs publics, mais aussi des collectivités locales sur la santé,qui retiennent l'attention ; au risque de privilégier à nouveau les actions volontaires des hommes et de négliger des systèmes épidémiologiques globaux. Le retour du "politique" concerne aussi l'approche des épidémies, ce qui est heureux, pour Patrice BOURDELAIS. Mais celui-ci pense également qu'il serait regrettable d'oublier pour autant l'importance des variables socio-économiques ou climatiques mises en évidence depuis 40 ans. L'histoire récente des épidémies sur le continent africain rappelle que le stock des épidémies est inépuisable, elle illustre aussi que les effets des guerres, de la déstabilisation sociale et des migrations qui en découlent contribuent massivement à la dissémination des épidémies traditionnelles ou nouvelles. La guerre en Ukraine débutée en 2022 va sans doute malheureusement l'illustrer.

   L'attention des historiens se porte aussi, écrit toujours Patrice BOURDELAIS, vers les outils intellectuels utilisés comme allant de soi ou des notions comme celle de transition épidémiologique, qui n'est pas seulement critiquable en ce qu'elle admet que les taux de mortalité générale constituent des approximations acceptables de la morbidité (RILEY et ALTER, 1989,, dans Annales de démographie historique, n°199-213), mais aussi parce qu'elle place l'accent sur les changements des systèmes immuno-parasitaires plutôt que sur les politiques municipales et nationales de développement de l'hygiène publique. En outre, elle suppose qu'un modèle général rend compte du passage d'un régime ancien indifférencié, antérieur au XVIIIe siècle, à celui des dernières décennies, ce qui se révèle partiellement faux, même lorsqu'on ne considère que les pays développés. Elle n'aurait pu être pensée sans la constitution progressive d'une croyance en un avenir historique d'éradication progressive des maladies infectieuses depuis le début du XIXe siècle, fondée sur l'utilisation des sulfamides et des antibiotiques, et portée par l'idée générale du progrès scientifique. Or cet horizon historique a montré ses limites depuis une quinzaine d'années : l'apparition de micro-organismes résistants à notre arsenal thérapeutique, la diffusion du Sida (et aujourd'hui la pandémie du Covid), ont mis en lumière que l'histoire de la lutte contre les épidémies et les maladies infectieuses ne pouvait se penser comme la victoire progressive, mais assurée, contre l'ensemble de ces fléaux. Les perspectives d'une histoire des épidémies sont par conséquent bien différentes de ce qu'elles étaient au début des années 1980. On ne peut que souscrire à la mise en place des éléments d'une nouvelle construction systémique qui, incluant aussi bien les logiques du vivant micro-organique que l'action volontaire des hommes, sans oublier les variables économiques sociales et nutritionnelles, qui permettrait de rendre compte d'une évolution historique moins irréversible qu'on l'a longtemps cru mais néanmoins considérable, du moins dans les pays développés.

 

Patrice BOURDELAIS, dans Annales de démographie historique  1997, Épidémies et populations, Éditions Odile Jacob, 1998.

 

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18 octobre 2020 7 18 /10 /octobre /2020 07:46

   Au moment de l'épidémie du Covid-19, il n'est pas inutile de rappeler les circonstances et les conséquences de l'épidémie de peste qui ravagea l'Orient et l'Occident durant quatorze siècles. Même si dans le premier cas, on a affaire à un virus, et dans le deuxième à un bacille, les épidémies forment des séquences d'événements et d'enchainements sociaux, économiques et politiques semblables. L'ouvrage, dense, de l'auteure plus connue sous le nom de Fred VARGAS, archéologue de métier, tout en retraçant l'histoire de la peste, indique également la remise sur le chantier d'un certain nombre d'hypothèses passant jusque là pour des certitudes bien établies.

    Au-delà de symptômes et de processus de diffusion semblables, les plus récentes recherches indiquent des vecteurs différents, puce de l'homme, puce du rat, autres puces, à l'origine de la peste. Il apparait également que la peste n'est pas complètement éradiquée, des cas (en 2002 à New York, deux cas) apparaissant jusqu'à la fin du XXe siècle et au-delà. "L'histoire de la peste, écrit-elle, n'est donc pas révolue et elle constitue une véritable question d'avenir. D'autant que l'irruption toute récente de cette maladie, aux côtés de la variole et de l'anthrax, dans le débat mondial sur la guerre bactériologique, la propulse aux premiers rangs de l'actualité, conférant au sujet une acuité nouvelle. Certes , la découverte du rôle de la piqûre de puce, la mise en place de mesures prophylactiques, la connaissance des foyers invétérés et la mise au point de traitement de la maladie, lui ont porté des coups décisifs. Cependant, l'absence de vaccin réellement efficace et la résistance nouvelle du bacille aux antibiotiques obligent l'homme à poursuivre activement sa bataille séculaire. Or, de l'identification des puces vectrices dépend la compréhension de la chaîné épidémiologique et de la propagation de la maladie. A sa suite, c'est évidemment toute l'orientation des mesures de prophylaxie, fondamentales dans ce combat, qui peut s'en trouver très notablement modifiée. La lutte contre les puces de rat se mène différemment de celle contre les puces de l'homme : aussi la connaissance exacte des insectes vecteurs est-elle un enjeu de première importance."

    L'auteure indique bien l'étendue du domaine de la peste, étendue qui accroît la difficulté de son étude : "sa dimension chronologique oblige à sortir des champs cloisonnés de l'histoire, son extension géographique contraint à dépasser les bornes des continents, et l'investigation ne peut être conduite qu'en croisant des champs disciplinaires ordinairement étanches". C'est pourquoi, dans ce livre, elle aborde des éléments en provenance de disciplines diverses, entre dans les détails archéologiques, biologiques, médicaux, zoologiques et entomologiques.... Elle reprend l'histoire des phases successives de recherche effectuée depuis la fin du XIXe siècle, examine des théories qui s'affrontèrent et explique, in fine, la raison de certaines réactions des populations et des élites face à cette maladie. Ainsi est éclairée le contraste entre réactions de classes riches et de populations miséreuses. 

Elle apporte ainsi des explications intéressantes mais s'arrête là. Tout en replaçant dans leur contexte certaines perceptions de la peste, elle n'aborde pas les conséquences de tout ordre du développement de ces épidémies. D'importantes notes et une abondante bibliographie donnent des pistes pour un prolongement de l'étude ce cette histoire des chemin de la peste.

Frédérique AUDOIN-ROUEZAU, Les chemins de la peste, Le rat, la puce et l'homme, Éditions Tallandier, collection Texto, 2020, 625 pages. Une première édition avait été réalisée en 2006 par les Presses Universitaires de Rennes.

 

 

 

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4 octobre 2020 7 04 /10 /octobre /2020 15:08

   Les épidémies ne constituent qu'un aspect paroxystique des relations entre différentes espèces de différentes tailles, étant donné que les bactéries, les virus et autres organismes coexistent, coopèrent, se combattent, vivent et meurent les uns par les autres, suivant des "étagements" complexes, des êtres monocellulaires aux grandes "entités" pluricellulaires. Jusqu'à l'invention du microscope et du microscope électronique, l'homme n'avait aucune idée de la complexité de sa constitution et en était réduit aux spéculations plus ou moins élaborées. Ce n'est que très récemment que les sociétés humaines ont pu se doter d'outils leur permettant d'utiliser au mieux - mais c'est très très loin d'être parfait! - les réalités biologiques à leur profit. Même en en ayant une connaissance parcellaire, nombre d'entreprises et d'États, mus par divers mobiles, ont commencé à utiliser des micro-organismes de manière très diverses et ont d'ailleurs contribué à provoquer d'autres catastrophes.

 

La notion de conflit appliquée aux micro-organismes....

   Avant d'aller plus loin, il faut tout de même réfléchir plus sur la notion de conflit, surtout lorsqu'on discute du "comportement" en dehors de l'espèce humaine, pour laquelle ce concept a d'abord été émis.

Tout d'abord, s'il est vrai que le conflit peut être inconscient, au sens qu'il existe, préexiste par rapport à son expression, en tant qu'existence d'intérêts (au sens très large) contradictoires, il faut s'interroger sur l'extension de cette notion à d'autres espèces et encore plus au monde végétal qu'au monde animal (à ce dernier monde appartiennent les êtres microscopiques qui nous intéressent ici). Lorsqu'on a affaire à des chaines d'évènements aussi stéréotypés dans ces espèces, on ne peut s'empêcher de considérer que ceux-ci sont plus proches des réactions et contre-réactions chimiques que des stratégies mises en oeuvre dans les sociétés humaines. De fait, on a affaire à des phénomènes qui se reproduisent de manière systématique entre unités ou individus des espèces non humaines, tant et si bien que si l'on peut parler de conflits - en ce sens qu'il existe bien des conditions contradictoires de vie et de survie - il est difficile de discuter de stratégies, de tactiques - même lorsqu'on a affaire à des comportements compliqués - sans tomber dans un anthropomorphisme qui n'a cessé de faire des dégâts dans la pensée humaine. Aussi, s'il y a bien des conflits microscopiques entre espèces différentes, c'est bien plus dans leur situation et leur condition d'existence que dans les modalités complexes, "pensées", que l'on ne rencontre que dans l'espèce humaine ou dans des espèces dotées d'intelligence permettant de distinguer le court du moyen et du long terme. Car, loin des possibilités de retarder des actions dans l'espoir de rencontrer des circonstances plus favorables, la qualité des actions des micro-organismes est très quantifiable par rapport à des face à face immédiats et provoquant des réactions reproductibles à l'infini. C'est ce qui fait que l'on peut précisément lutter contre l'action de certains micro-organismes "s'attaquant" à l'être humain : leur reproductibilité quasi-indéfinie, leur prévisibilité, même si bien entendu l'écheveau des interactions est si complexe qu'il arrive à un moment donné que nos techniques deviennent contre-productives... Même dans des ouvrages sur la microbiologie, il est vrai destinés au grand public - car dans ceux écrits pour les étudiants en médecine par exemple, cela est bien moins appuyé - comme celui de Pascale COSSART, la tentation d'un certaine anthropomorphisme transpire. "Les bactéries ont donc une vie sociale très élaborée : en plus de leur capacité à vivre en groupe, et sans doute afin de vivre en groupe, elles peuvent communiquer entre elles en utilisant un langage chimique qui leur permet de se reconnaître par espèces ou par grandes familles, et de se distinguer les unes des autres..." Or, s'il existe toute une succession d'actions et de réactions lorsque des groupes de bactéries rencontrent d'autres espèces, cela n'infère pas qu'elles vivent en société et qu'elles aient une vie sociale... Mais heureusement, même dans cet ouvrage, on en vient pas à une description type Disney (le summum de l'anthropomorphisme au cinéma et dans la bande dessinée...), dotant les bactéries de portables ou d'armements!

 

Les différentes découvertes techniques au service de l'étude des "comportements" des micro-organismes.

   Pour en revenir à des conceptions plus précises et sérieuses, les diverses technologies (microscopes de plus en plus précis, utilisations de la manière même où les bactéries évoluent, manipulations des sections d'ADN...), ont amené à un nouveau regard sur la vie des organismes vivants, sur les maladies infectieuses. Les bactéries comme les virus se regroupent suivant les caractéristiques bio-chimiques des milieux où ils se trouvent, présents sur des surfaces de tout genre (sous forme de "biofilms"). On avait l'habitude d'isoler un nombre restreint de bactéries pour les observer, les marquer, les suivre dans leurs comportements, mais ces micro-organismes vivent ensemble en très grand nombre, vivant en harmonie ou non avec d'autres micro-organismes, formant des groupes très hétérogènes mais stables. Lorsque ces groupes deviennent gigantesques, à l'échelle de leur environnement, et sont présents en association avec d'autres, parasites ou virus, on parle de "microbiote". Et ces micro-biotes évoluent en fonction de leur environnement, par exemple dans le corps humain. Suivant des caractéristiques que la recherche scientifique tentent de cerner et qui dépendent des habitudes alimentaires, du patrimoine génétique et des maladies, et du comportement en général de l'individu. Si des auteurs parlent de vie sociale, c'est surtout par analogie - avec aucune volonté de déduire autre chose - et par les comportements si complexes de ces groupes de micro-organismes : alimentation, contractions, dilatations, colonisations d'autres environnements, réactions particulières lors de la rencontre avec d'autres espèces, processus de défense et d'attaque (qui revêtent tous un caractère d'automaticité, comparable aux réactions acido-basiques en chimie), exclusions ou inclusions en leur sein de la totalité ou d'une partie de ces micro-organisme rencontrés. Ce qui fait apparaitre des compatibilités et des incompatibilités immuables entre micro-organismes en conflit ou en coopération... Alors qu'on avait tendance à ne considérer les bactéries et les virus que sous l'angle des maladies infectieuses que certains causent à la rencontre des organismes humains, on conçoit aujourd'hui les êtres humains comme la composition complexe de myriades de bactéries et de virus, dont seulement une petite partie est en définitive nuisible à leur intégrité. Et bien entendu, ces bactéries et virus ont un rôle capital dans le développement de l'ontogenèse et de la phylogenèse, dans la formation de l'individu comme dans l'évolution de l'espèce.

 

Une socio-microbiologie

   Cette socio-microbiologie, décrite par exemple par Pascale COSSART, n'a rien à voir avec une quelconque sociologie de microbiotes et le terme lui-même veut signifier que les bactéries, virus, etc vivent, agissent, inter-agissent en groupes, les types de groupes permettant de les distinguer les uns des autres, de manière plus proches des molécules rencontrées en chimie organique que des insectes qui forment des sociétés à un niveau bien plus sophistiqué et de plus entre individus parfois extrêmement reconnaissables les uns des autres...

       Cette socio-microbiologie étudie la manière dont les bactéries s'assemblent (elles agissent en groupe, on se serait bien douté qu'il n'y avait pas qu'une bactérie agissant seule...) en véritables biofilms, observés pour la première fois par COSTERSON en 1978, mode de vie naturel de pratiquement toutes les bactéries. Ce mode de vie est maintenant de plus en plus étudié alors que la microbiologie classique s'était attachée après PASTEUR et KOCH, à étudier les bactéries en les faisant croitre en cultures pures, dans des flacons, dans des conditions parfois très éloignées de leurs conditions naturelles de croissance. C'est parce qu'elles s'agglutinent ainsi qu'elles peuvent résister ou "coopérer" avec d'autres micro-organismes. Mobiles, ces biofilms peuvent s'incruster dans des surfaces dont on les croit disparues, ses différents éléments pouvant mener un temps une "vie indépendante"... Elle étudie aussi comment les bactéries "communiquent" entre elles, dans un langage chimique, grâce à des substances bio-moléculaires qui circulent d'un groupe à l'autre, comme circulent des milliards de molécules dans nos organismes. Si la peau par exemple apparait fixe sur nos mains et nos bras à nos yeux, elle est formée néanmoins en partie de substances qui circulent constamment. Les différents mouvements des bactéries peuvent être modifiés par une action sur ces diverses substances, indispensables pour la conjugaison, la transformation, l'échange de matériel génétique comme pour leurs mouvements d'un endroit à un autre de manière générale. Alors que les substances moléculaires simples sont animées d'un mouvement brownien, les micro-organismes  se meuvent suivant des directions précises induites par la présence ou l'absence de nombreuses molécules organiques (et même minérales), et c'est ce qui caractérise d'ailleurs leur vie, par rapport à la matière inerte. Cette microbiologie étudie également comment les bactéries "s'entretuent", pour reprendre le langage adopté par Pascale COSSART.

   "Dans tous les domaines du vivant, écrit-elle, la lutte pour la vie et la rivalité entre les individus sélectionnent naturellement (c'est la sélection naturelle) ceux qui se sont le plus vite et le mieux adapté à un environnement donné. La transmission des caractères acquis contribue à l'évolution, et même à la naissance de nouvelles espèces". Elle pense s'inspirer de Charles DARWIN, mais c'est en fait de LAMARCK qu'elle tire cette présentation un peu lapidaire. Si l'évolution sélectionne les bactéries les mieux adaptées, ce n'est pas par le phénotype, mais par le génotype qu'elle l'effectue. Dans le grand mouvement tourbillonnant des actions-réactions entre groupes de bactéries, les agents extérieurs (virus, bactéries...) s'attaquent aux bactéries et les bactéries, assez rapidement, réussissent ou non de se protéger, suivant leurs ressources internes. "On sait que certaines bactéries peuvent ainsi libérer dans le milieu où elles se trouvent un grand nombre de poisons différents et spécifiques, des "bactériocines", des toxines qui tuent leur victimes. Les bactéries productrices de bactériocines sont, elles, protégées par des protéines d'immunité, qui empêchent suicides et fratricides. Il existe d'autres mécanismes que les bactériocines par lesquels les bactéries s'entre-tuent, mais ceux-là nécessitent un contact physique entre les bactéries qui, alors, s'agressent réellement' O a notamment récemment découvert un système très sophistiqué, qui mène, vie la système très sophistiqué, qui mène via le système de sécrétion de type VI, à de véritables duels bactérie-bactérie qui évoquent des duels d'escrime." Anthropomorphisme, quand tu nous tient!  Il est pourtant d'autres modes de descriptions de ce que les microbiologistes découvrent par leur appareillage complexe...   Inhibition de la croissance dépendant d'un contact bactérie-bactérie, sécrétion de type VI : attaque et contre-attaque, c'est ce qu'ils découvrent... Pas la peine d'évoquer les mauvaises habitudes humaines!

 

Symbioses, fondements de la vie biologique...

   "Une véritable révolution secoue actuellement le monde de la microbiologie et nous révèle de façon spectaculaire et assez inattendue que la vie de tous les organismes vivants repose sur des symbioses avec des bactéries, ou plutôt avec des communautés de bactéries et de micro-organismes. Ces communautés ont une composition fluctuantes, et jouent des rôles innombrables, affectant en profondeur la physiologie et la pathologie des organismes, en particulier celles de l'homme depuis les étapes précoces du développement de l'embryon jusqu'à la fin de la vie?" C'est tout un "étagement" de symbioses que les chercheurs étudient alors. C'est en étendant le champ de leurs investigations, au-delà du 1% des bactéries isolées et étudiées en monoculture dans des milieux liquides ou solides (les fameuses boites de Pétri), qu'ils découvrent tout un monde et commence à comprendre comment fonctionnent les organismes vivants, des plus petits aux plus complexes. Ils peuvent, grâce à de nouvelles technologies étudier réellement le microbiote intestinal, et voir comment s'organisent les métabolismes globaux, avec des applications très concrètes concernant par exemple les mécanismes de l'obésité. Il peuvent étudier les relations par exemple entre le rythme circadien, et bien d'autres rythmes et les évolutions des différents microbiotes. Tous les organes peuvent faire l'objet alors d'études globales, avec toujours pour objectif de comprendre l'activité des bactéries pathogènes, et de maitriser les grands fléaux comme les nouvelles maladies...

   Une nouvelle compréhension du rôle de agents pathogènes dans les grands fléaux et les maladies diverses est permise par ces nouvelles technologies d'observation médicale. Elles indiquent que parmi tous ces micro-organismes qui contribuent à la vie d'organismes plus complexes (jusqu'au nôtre), une minorité d'entre eux, pour toutes sortes de raisons et de manière variable suivant les circonstances, possèdent un rôle néfaste et au lieu de s'installer dans une sorte de symbiose, à la limite parasite, s'attaque à la structure de l'organisme hôte. Suivant les conditions de l'environnement extérieur, ces bactéries pathogènes déploient toute une gamme de stratégie pour le faire. Certaines adhèrent aux cellules sans y pénétrer, émettant des substances qui les traumatisent, d'autres y entrent. Pour s'attaquer à leurs différentes composantes, et parfois jusqu'à leur ADN.

   Les nouveaux outils technologiques à notre disposition permettent d'élaborer des visions nouvelles face aux infections. Seule une partie des individus exposés à un agent pathogène donné - bactérie ou autre micro-organisme - développe la maladie, et le degré de gravité change d'un individu à l'autre. cela peut être dû à ds variations au sein de l'espèce pathogène responsable de la maladie, à des facteurs environnementaux ou à des modifications chez l'individu infecté. La connaissance de plus en plus fine des bactéries permet de les envisager, au moyen d'interventions sur ces bactéries, comme outils de recherche et même d'outils pour la santé et la société, de les transformer en alliés plus fiables de la structure des organismes ou même de les "retourner", comme on dit en langage stratégique, pour lutter efficacement contre leurs propres congénères...

   On voit bien que si on emploie avec des bactéries des moyens plus ou moins complexes pour s'en faire des auxiliaires de santé par exemple, il n'est pas besoin de les doter d'attributs qui les ferait ressembler à des soldats enrôler dans une armée de défense. L'emploi d'un langage anthropomorphique et militaire n'est pas indispensable pour comprendre les bactéries - et les virus de même - et entreprendre des actions qui peuvent s'apparenter à celles existantes dans les conflits entre humains...

  Jusqu'à très récemment, la microbiologie médicale était l'étude des micro-organismes pathogènes pour l'homme. Maintenant, toujours avec le même objectif de diagnostic des infections, en embrassant également l'épidémiologie, la pathogenèse et le traitement comme la prévention des maladies infectieuses, il s'agit d'avoir une vue globale dune socio-microbiologie qui englobe tant les micro-organismes partie prenante de la vie d'organismes supérieurs (que ce soit des plantes, des insectes ou des hommes) que de ceux-ci qui les mettent en danger.

  

 Pascale COSSART, La Nouvelle Microbiologie, Des microbiotes aux CRISPER, Odile Jacob, 2016. Atlas de poche Microbiologie, Falmmarion, Médecine-Sciences, 1997.

 

BIOLOGUS

 

 

  

    

 

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22 février 2016 1 22 /02 /février /2016 10:46

      Dans le cadre de la lutte contre la toxicomanie, contre l'alcoolisme ou même contre des dépendances médicamenteuses, de multiples études se centrent sur les mécanismes physiologiques - neurobiologiques en particulier - de l'addiction.

 

Les mécanismes de libération de la dopamine

   La question est de savoir, afin d'élaborer des techniques thérapeutiques, quels sont les mécanismes par lesquels les drogues stimulent la libération de dopamine, responsable de la sensation de plaisir dans le cerveau, elle-même contrôlée par différents peptides. En l'état actuel d'une recherche qui est loin d'être aboutie, ils seraient de deux sortes et dépendent du site où agissent les drogues.

"Les psychostimulants (cocaïne, amphétamines, ectasy et médicaments contenant ce types de substances), expliquent Bernard ROQUES, docteur en pharmacie et professeur à l'Université Paris V René Descartes et Eduardo VERA OCAMPO, docteur en psychopathologie à Paris X et psychanalyste, bloquent un système régulateur de la concentration synaptique en dopamine principalement au niveau du noyau accumbens. 

Or, il existe des connexions entre le noyau accumbens et le système limbique, spécialement l'amygdale, où naissent les perceptions du danger (stress, peur, émotions violentes...) et aussi avec le cortex préfontal (cortex cingulaire) très important chez l'homme. L'activation simultanée des neurones du cortex frontal et des structures du système hédonique (en particulier l'amygdale) a pu être démontrée par neuro-imagerie à l'occasion d'un état de "manque". En effet, chaque émotion prise en compte par le système hédonique est susceptible de conduire à une réponse motrice immédiate. Toutefois, ce "passage à l'acte" va être contrôlé par des projections du cortex cingulaire antérieur sur le noyau accumbens et l'amygdale où sont mémorisés les antécédents affectifs et socioculturels de l'individu. Ce contrôle permanent est exercé sur les pulsions qui peuvent naître de la suractivation du système limbique génère un certain nombre de conflits et peut expliquer des comportements anormaux. la drogue jouerait le rôle d'une telle "béquille hédonique", dans l'impossibilité où se trouve le patient de retrouver le contrôle de ses pulsions affectives.

 

Le support génétique facilitateur de l'addiction

      La propension au passage de l'abus à l'addiction dépend aussi, dans un certain nombre de cas, d'un support génétique sans doute polygénique. Ainsi, le polymorphisme du récepteur dopaminergique D2 avec prédominance de l'allèle A1 est retrouvé de manière statistiquement significative dans les familles d'alcooliques. De même, les gènes dopant pour les transporteurs des neurotransmetteurs tels que la dopamine ou la sérotonine sont retrouvés altérés plus fréquemment chez les alcooliques. On constate que 54% des vrais jumeaux, même lorsqu'ils se trouvent dans des environnements socioculturels différents consomment de la cocaïne, alors que ce pourcentage est beaucoup plus faible chez les faux jumeaux. (...)".

"Un des phénomènes les plus curieux et les plus difficiles à expliquer dans la toxicomanie, c'est le fait que, si un individu a pris une substance, il ne peut s'en défaire lorsqu'il en est devenu dépendant. Pourquoi? Il y a le fait que l'abandon de la substance crée un effet de stress, le sevrage, qui peut être très douloureux en particulier chez l'alcoolique et l'héroïnomane. Cependant, le sevrage d'autres substances (tabac, psychostimulants, cannabis) n'est pas aussi dramatique et pourtant l'arrêt du tabagisme, par exemple, est très difficile. La théorie de la dépendance liée aux difficultés du sevrage, dite "renforcement négatif", se voit donc mise en défaut et on s'oriente plutôt vers la théorie du "renforcement positif", qu'on lie à l'extrême difficulté de se détacher d'une drogue qui donne la sensation de plaisir intense. Cela sous-entend qu'il y aurait un accroissement de cette sensation par consommations successives. (...)" Une expérience réalisée sur les singes montre une recherche par tous les moyens de la drogue (craving).

"Par ailleurs, l'hypersensibilité des systèmes neuronaux, dopaminergique en particulier, a pu être démontrée" (Expériences sur des rats) (...). Nénamoins, les mécanismes neurobiologiques sous-tendant les processus addictifs sont loin d'être compris. C'est pourtant de cette incompréhension que pourraient venir des traitements évitant le craving et les rechutes. cependant, plusieurs résultats doivent être mis en exergue (...) qui conforteraient l'hypothèse (...) d'un débordement des processus de déphosphorysation par les phosphatases. Celles-ci mettraient alors un temps très long pour remettre le système cellulaire à l'équilibre."

 

Les recherches continuent

     En tout cas, notamment à l'intérieur de l'industrie pharmaceutique, les recherches se poursuivent pour préciser les dynamismes à l'oeuvre. "Le véritable enjeu serait de découvrir le moyen de faire cesser la recherche compulsive des drogues et plus encore la rémanence de leurs effets. Quelques progrès ont été enregistrés sur des modèles animaux avec des substances qui maintiennent un taux moyen de dopamine dans le noyau accumbens ou avec des molécules protégeant les enképhalines endogènes de leur inactivation enzymatique. Il reste à démontrer que cela peut être transposé chez l'homme. Une autre approche intéressante, mais dont les applications semblent être plus limitées, consiste à utiliser des anticorps dirigés contre la substance addictive (héroïne, cocaïne...) qui, en fixant des drogues sur des grosses molécules d'anticoprs, les empêcheraient de pénétrer dans le cerveau. Dans tous les cas, seule l'association de la médication chimique et de divers traitements psychothérapeutiques donne des résultats réellement positifs. (...)."

 

Compulsion et addiction

 Quelques soient les vecteurs, substances ou comportements, rappelle Xavier POMMEREAU, psychiatre des hôpitaux, chef de service au CHU de Bordeaux, "toutes les addictions partagent le fait d'être récurrentes et agies sous la contrainte d'une besoin incoercible appelée compulsion. Celle-ci est ressentie comme une force intérieure brisant la volonté, faisant dire au sujet concerné "c'est plus fort que moi".

Pour A. Goodman (Addiction : Definition and Implications, dans British Journal of addictions, 1990), spécialiste de l'approche comportementaliste, l'addiction est une processus par lequel un comportement, procurant normalement plaisir et soulagement, s'organise selon un mode particulier, caractérisé à la fois par l'incapacité à le contrôler et la poursuite de ce comportement en dépit de ses conséquences négatives. A cette définition générale, il est également classique d'ajouter que l'addiction constitue un trouble comprenant l'exposition à une intoxication répétée puis l'installation progressive d'une dépendance et d'un besoin compulsif de consommer, accompagner d'une tolérance - c'est-à-dire d'une diminution des effets produits par une même dose de drogue, se traduisant par des signes de sevrage (N D Volkow et collaborateurs, Role of Dopamine, the frontal cortex and memory circuits in Drug Addiction : Insight from Imagining studies, dans Neurobiol Learn men, 2002).

 

Secrétions dans le cerveau et addiction

Les spécialistes s'accordent à dire que l'addiction ne saurait se concevoir sans interactions chimiques au niveau du cerveau. Mais s'il est facile d'admettre que celles-ci sont provoquées par l'usage de substances toxiques, ou qu'elles sont liées à l'auto-secrétion de substances naturelles induites par l'excès d'un comportement donné, la question de la causalité première - biologique, psychique ou sociale - reste posée. Dans l'état actuel de nos connaissances, on considère que les pathologies de la dépendance sont d'origine pluri-factorielle, intégrant de manière plus ou moins imbriquée des composantes neurobiologiques, comportementales, psychologiques et sociales, susceptibles d'exercer les unes sur les autres des effets de renforcement réciproque. Et si l'on admet le principe d'une vulnérabilité génétique exposant davantage certains sujets, dès leur conception, aux risques de l'addiction, on doit tout autant reconnaitre l'importance des interactions affectives précoces dans la genèse des dépendances."

Après avoir évoqué certaines recherches neurobiologiques (Reynaud,Plaisirs, passions et addictions : comment la connaissance des circuits du plaisir et des voies de la passion éclaire la compréhension des addictions, Synapse, 2005 ; Bartels et Zeki, The neural correlates of Maternal and Romantic Loves, Neuroimage 2004, et aussi Jean-Didier Vincent, 1986), le psychiatre écrit que "même si la diversité et la complexité des différentes formes d'addiction rendent périlleuse toute approche qui se voudrait par trop synthétique, force est de reconnaitre que le corps est, dans tous les cas, attaché à l'objet addictif. D'un point de vue psychodynamique, cet "attachement à l'objet" gageant le corps et signant la dépendance, renvoie - par sa répétition et le besoin qu'il suscite - à l'impossible détachement d'un autre objet, celui-là primaire et constitutif de la satisfaction des besoins et des désirs en jeu dans la relation précoce mère-enfant."

 

Xavier POMMEREAU, Addictions, dans Dictionnaire du corps, sous la direction de Michela MARZANO, PUF, 2007. Bernard Pierre ROQUES et Eduardo VERA OCAMPO, Addiction, dans Encyclopedia Universalis, 2014.

 

PSYCHUS

 

Relu et corrigé le 10 mars 2022

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18 août 2014 1 18 /08 /août /2014 15:30

           Dans l'histoire humaine, les grands mouvements de tout ordre, sociaux, économiques, politiques et idéologiques restent grandement déterminés par le développement des pandémies, bien au-delà de l'issue de conflits à l'intérieur même du groupe humain. L'histoire de la peste de Jean VITAUX, médecin gastro-entérologue, le montre.

   Il s'agit ni plus ni moins que des trois plus grandes pandémies dont on peut avoir connaissance dans de nombreux détails, soit des témoins de leur temps, soit des grandes enquêtes scientifiques bien après (épidémiologie historique, archéologie...). Rares, ces pandémies orientent ensuite la marche des civilisations.

D'abord par l'hécatombe elle-même, qui frappe toutes les classes sociales, toutes les catégories religieuses et qui détruit pratiquement les institutions du moment, ensuite par les terribles leçons que les contemporains en tirent, puis ensuite par le renouvellement des populations qui tranche avec la simple perpétuation des traditions, quels soient culturelles, économiques ou politiques.

Ces trois pandémies de peste, celle de Justinien (VIe siècle), celle dite de la peste noire de 1347 qui tue entre le tiers et la moitié de la population européenne et celle entre le XIXe et le XXe siècle, frappent longtemps de vastes régions et longtemps encore après ici ou là, de sorte que l'on pourrait parler de continuité dans le développement de la maladie, entre montée et pic d'épidémie, décroissante et résurgences périodiques, souvent aux mêmes endroits... La peste noire fut le moment où les quatre cavaliers de l'Apocalypse (Mort, guerre, famine et peste) semblaient annoncer la fin des temps. Ces pandémies ne frappent pas seulement l'Occident chrétien. L'Islam est particulièrement touché, la pandémie étant à l'origine sans doute du déclin de la civilisation du Croissant au Moyen Orient. Les territoires chinois, même si l'historiographie est moins présente dans nos esprits, sont touchés d'une manière semblable. Aujourd'hui encore, même si les agents de la maladie sont identifiés (seulement depuis 1894 et 1898) et les moyens de soigner opérationnels, le monde n'est pas à l'abri d'une autre épidémie. 

    Les circonstances du développement de la peste sont très liées au commerce et à la guerre, et parfois des impératifs commerciaux brisent les mesures de quarantaine mises en place dans ces cas-là. Sans doute ces pandémies, avec celles moins importantes d'autres maladies, sont-elles l'illustration d'un aveuglément des humains qui se combattent par des méthodes (jets de cadavres par-dessus les murailles, développement de la recherche d'armes biologiques) qui favorisent le développement d'autres espèces, dans les conflits croisés interspécifique et intraspécifique. Et pour ajouter à la confusion d'un combat qui fait des millions de victimes à chaque fois, la peste semble souvent prendre fin par l'activité d'autres bacilles que les siens... Transmis par la puce du rat (de certains rats) à l'homme, les bacilles responsables mènent à la fois une véritable invasion dans les corps humains avant d'être eux-mêmes vaincus par d'autres bacilles sans doute moins nocifs. 

 

    A la question de l'avenir de la peste, le docteur VITAUX n'est guère optimiste pour l'espèce humaine. "La peste est une anthropozoonose qui ne peut être éradiquée. En effet, il existe de nombreux réservoirs de rongeurs sauvages, souvent commensaux de l'homme, comme le rat noir et le surmulot. Malgré toutes les tentatives de dératisation, l'extraordinaire prolificité des rats, leur intelligence et le développement de résistances aux méthodes de dératisation font que l'on peut seulement contenir leur nombre et en limiter la prolifération, sans aucun espoir d'éradication de cette espèce honnie des hommes. Il persistera donc toujours un réservoir  de rongeurs potentiellement contaminables par le bacille pesteux.

Il est aussi impossible de se débarrasser des puces. Si l'hygiène corporelle a beaucoup diminué leur nombre dans les pays modernes, le parasitisme par les puces reste très fréquent dans tous les pays où l'accès à l'hygiène n'est pas aisé et où la promiscuité est importante. D'autre part, on peut difficilement lutter contre les puces des animaux sauvages, surtout si, comme les rongeurs, ils sont rarement visibles. Enfin, les insectes finissent pas très bien résister aux pesticides (encore un mot formé par peste!), comme on l'a vu avec les poux sur lesquels le DDT est devenu inefficace. Il faut aussi prendre en compte la toxicité, pour l'homme et l'environnement, de ces insecticides.

La rémanence du bacille pesteux dans la nature (même en l'absence d'auteurs hôtes) est considérable. Alexandre Yersin, à Hong Kong en 1894, avait déjà retrouvé des bacilles de la peste vivant dans le sol des maisons où des habitants étaient morts de la peste. Le bacille pesteux peut survivre un an chez la puce Xenopsylla cheopi, ce qui explique bien la transmission de la peste par des ballots de tissus infectés. (...).

Si la peste murine est donc très difficilement éradicable, la peste humaine peut sans doute revenir sous la forme de cas sporadiques ou de petites épidémies limitées, sylviatiques ou rurales, voire urbaines. Les précautions d'hygiène, les campagnes de dératisation ainsi que l'absence de contact avec les rongeurs sauvages peuvent en limiter fortement le nombre. Mais l'altération des conditions sanitaires et surtout les guerres sont susceptibles de favoriser la résurgence de tels foyers de peste. peut-on encore connaitre de grandes pandémies de peste? Cela est théoriquement possible, en raison des concentrations urbaines de plus en plus importantes sur la planète, car ni le rat, ni la puce de rat, ni le bacille de Yersin ne peuvent être éradiqués. La limitation de telles épidémies serait assurée par l'utilisation de traitements antibiotiques adaptés et d'une anti-bioprophylaxie prophylactique, ainsi et toujours que par des mesures de quarantaine efficaces (et respectées!), mais le risque est le développement de souches ultra-virulentes du bacille de Yersin, et surtout leur résistance éventuelle aux antibiotiques car les bactéries du genre Yersinia sont très rapidement évolutives et toujours susceptibles de se transformer par mutations. Toutes ces voies ont malheureusement été testées dans des expériences de guerre bactériologique... heureusement rarement utilisées."

   De plus, rappelle l'auteur dans sa conclusion, "l'histoire des pandémies de la peste, même si elle est de mieux en mieux connue, contient de nombreux points obscurs : on ne sait pas pourquoi, par exemple, la pandémie se déclenche, ni surtout pourquoi elle s'arrête tout aussi brutalement. Les fins de la première et de la deuxième pandémies sont datées avec précision (767 et 1720), sans que l'on en connaisse les causes, qui ne peuvent être médicales. Les travaux des archéologues et les paléozoologues nous ont permis de savoir que le rat noir existait dès l'Antiquité en Europe, mais il nous est impossible de connaitre le moment où il a été remplacé par le surmulot, et également de savoir quelles étaient les puces du rat en cause lors de ces deux pandémies anciennes. Il est possible, mais on ne peut le prouver, que la ligne d'arrêt de l'épidémie de Marseille en 1720 soit liée à la concurrence du surmulot, car, dans les conditions actuelles, la puce du rat noir Xenopsylla fasciatus ne vit pas en milieu tempéré, cependant le climat était plus chaud pendant l'optimum climatique. En revanche, le peu d'impact de la troisième pandémie en Europe s'explique sans doute par la résistance du surmulot face à la peste : Rattus norvegicus est moins sensible que Rattus rattus à la peste ; sa puce, Nosopsyllus fasciatus, se bloque peu et est un moins bon vecteur de la peste que la puce du rat noir Xenopsylla cheopis ; enfin, il est immunisé en grande partie par une maladie voisine bénigbe due à Yersinia pseudotuberculosis. Ces faits sont totalement indépendants de l'homme et de la médecine. On note cependant souvent une coïncidence entre les épidémies de peste, les guerres et les famines."

"Les conséquences de la peste sont étonnantes : comme dans toutes les grandes épreuves, le tissu social s'est dégradé, la délinquance a augmenté et la tentation de la fuite ou de l'isolement a été constante. Mais, en Occident et en Chine, les pertes humaines énormes ont entrainé des modifications socio-économiques, mais pas de véritable décadence, contrairement au monde musulman (l'Empire ottoman excepté). L'omniprésence de la mort a modifié les moeurs (à la fois vers l'ascétisme et la folie génésique) et entrainé des débordements religieux comme celui des flagellants. La religion, dont les desservants étaient très durement frappés par la peste, a aussi été influencée par les grandes épidémies : popularité du purgatoire, omniprésence de l'Apocalypse et du diable, émergence des procès en sorcellerie. Des critiques ont accablé la papauté, depuis les flagellants et Pétrarque jusqu'à Wycliff et Jan Hus, et la Réforme est peut-être une fille lointaine de la peste noire. L'art religieux a aussi été marqué par la peste noire (...). Le traumatisme de la peste a été tel que ce fléau fait toujours partie de notre imaginaire collectif (...)."

  En sa dernière phrase (A quand la quatrième pandémie de peste?), l'auteur estime que le conflit interspécifique examiné ici a de beaux jours devant lui. Il est vrai que la perte de vitesse des services hospitaliers et médicaux en Occident et encore plus dans le reste du monde, la multiplication des échanges commerciaux non surveillés et l'augmentation des migrations (notamment illégales donc non contrôlés sur le plan sanitaire) humaines, l'accroissement du nombre de foyers de guerre dans le monde, le réchauffement climatique lui-même, constituent de bons facteurs pour la peste.

Aujourd'hui, en ces années 2019-2021, la pandémie du covid-19 change déjà les sociétés et les mentalités. Comme pour la peste, nous ne savons pas grand chose de son cycle de vie, et sans doute va-t-elle s'arrêter elle aussi, sans que l'on sache pourquoi. Comme pour la peste, les forces économiques s'efforcent de freiner les mesures sanitaires, donnant à l'actualité des allures de yo-yo, entre confinements et dé-confinements plus ou moins relatifs, obérant les chances d'actions véritablement coordonnées des puissances politiques. Comme pour la peste, cette pandémie nait d'une mondialisation, que ce soit des coopérations (commerciales, culturelles...) ou des conflits. Il est dommage sans doute que dans ce livre, les aspects médicaux prennent le pas sur les aspects sociaux et politiques, mais la conclusion de l'auteur appelle des études dans ces derniers domaines. A chaque pandémie, il y sans doute un "avant" et un "après".

 

 

Jean VITAUX, Histoire de la peste, PUF, 2010, 200 pages.

 

Relu le 11 septembre 2021, le 14 novembre 2021.

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16 septembre 2013 1 16 /09 /septembre /2013 14:53

      Le livre de Thomas LAQUEUR, professeur américain d'histoire à l'Université de Californie de Berkeley, auparavant auteur de Sexe en solitaire, Contributions à l'histoire culturelle de la sexualité (Gallimard, nrf, Essais, 2005) est régulièrement cité comme référence dans de très nombreuses bibliographies sur les travaux portant sur le sexe et le genre.

Publié aux États Unis en 1990 et édité en France chez Gallimard en 1992, ce livre fait suite à ses recherches sur les représentations biologiques et médicales du sexe qui l'ont fait remettre en question la coupure radicale, quoique progressive, décrite par Michel FOUCAULT (dont Histoire de la sexualité a eu beaucoup plus d'impact aux États-Unis qu'en France, et un impact de nature très différente). Il s'appuie aussi sur les travaux sur la longue durée de Fernand BRAUDEL "dans la représentation corporelle qui remonte aux Grecs et où les signes, dans le corps, de différence sexuelle - génitalité, organes internes, processus physiologiques et orgasmes - étaient bien moins distincts, bien moins critiques qu'ils n'allaient le devenir".

      Dans sa préface à l'édition française, rédigée dix ans plus tard, il indique persister dans sa rupture avec nombre de traditions historiographiques "qui prétendent expliquer le passage d'un stade à un autre par une chaîne d'effets de causalités extérieures à la sphère de l'objet étudié mais reflétées à l'intérieur de celui-ci. Ainsi la fabrique du sexe pourrait-elle être référée, par exemple à l'histoire intellectuelle : l'effondrement d'une vision du monde dans laquelle le corps réfléchit l'univers et, inversement, l'établissement du corps, ou plus généralement de la matière, correspond au changement d'épistêmé foucaldien, au profit de ce que l'auteur de L'Archéologie du savoir appelle le modèle classique. (...) En vérité, le rejet du vieux modèle du sexe et du corps, pris qu'il était dans les filets de la théologie et de la métaphysique, faisait manifestement partie du grande projet des Lumière ; en finir avec des millénaires de cléricature et de philosophie pour mettre à leur place une histoire naturelle de l'homme. Une nature organiquement, un corps fermé, autonome et moralement déterminé évincèrent le vieux corps ouvert du modèle unisexe."

Sans remettre en cause toutefois cette longue marche vers une autre conception de la sexualité, l'auteur tâche de démontrer, dans différentes contextes, comment des circonstances politiques, intellectuelles et sociales diverses nourrissent le passage du modèle unisexe (un modèle, rappelons-le où le sexe de la femme est considéré comme un dégradé inférieur du sexe de l'homme, et où les émissions corporelles sont considérées comme étant les mêmes pour l'homme comme pour la femme) à l'explication moderne, fondée sur deux sexes, de la différence et de la sexualité proprement dite.

"Mais ce que je prenais, écrit-il, pour le triomphe plus ou moins linéaire d'un modèle sur l'autre, la production plus ou moins définitive et irrévocable du sexe moderne, prit un tour de plus en plus équivoque." Il découvre, au cours de ces recherches, "de multiples preuves que dès avant le XVIIIe siècle, il se trouva des gens pour écrire comme s'il y avait bien deux sexes (différents)." "Loin du discours dominant, difficile à interpréter par au-delà de l'abîme des siècles, elle n'en continuaient pas moins à parler, fût-ce à mots couverts, d'un modèle de corps apparemment "moderne". De même, il trouve que "dans divers discours du XIXe et du début du XXe siècle, le corps paraissait aussi ouvert aux forces de l'extérieur et malléable qu'il l'avait été avant la ligne de partage du XVIIIe siècle". En définitive, ce que découvre Thomas LAQUEUR, c'est que la lente marche vers les conceptions modernes est bien plus conflictuelle que ce qu'en décrivait Michel FOUCAULT, mettant en jeu des mouvements sociaux, économiques, intellectuels, de classe, de race et de sexe.

   Dans sa préface originelle, précédée fort justement de nombre d'illustrations du sexe, dans l'histoire, découvertes par l'auteur, il écrit encore : "Quelques uns de ces changements (dans la conception du sexe de l'homme et de la femme, surtout de la femme) se laissent comprendre comme le fruit du progrès scientifique - la menstruation n'a rien à voir avec le flux hémorroïdal - mais la chronologie des découvertes ne cadre pas avec celle des re-conceptions du corps sexuel. De surcroit la chronologie elle-même ne tarda pas à se désagréger et je me retrouvai face à la conclusion déroutante qu'il y eut toujours un modèle à deux sexes et un modèle unisexe à la disposition de ceux qui réfléchissaient à la différence et qu'il n'y avait pas de moyen scientifique de choisir entre les deux modèles. Le premier avait certes atteint un position dominante à l'époque des Lumières, mais le sexe unique n'avait pas pour autant disparu. De fait, plus je m'acharnais sur les sources historiques, moins le partage des sexes se faisait clair ; plus on cherchait dans le corps les fondements du sexe, moins les limites se faisaient solides. Avec Freud, le processus atteint son indétermination la plus cristalline. Cette histoire, qui n'était au départ que celle du plaisir sexuel féminin et de son essai d'effacement, devint plutôt une histoire de la manière dont le sexe, non moins que le genre, se fait."

 

   Dans ce livre, nous entrons dans le détail des recherches sur l'anatomie et des pratiques médicales du sexe, depuis l'Antiquité. Dans le détail aussi des débats entre praticiens et théoriciens du sexe sur la réalité de sa nature physique. Mais aussi dans le détail des recherches anciennes et modernes (modernes au sens des Lumières) sur la physiologie des plaisirs masculin et féminin. De nombreuses interprétations sur le corps sont ainsi examinées, chez ARISTOTE, GALIEN, de LA BARRE, jusqu'à celles de MAURICEAU ou de KOBELT... auteurs de référence dans les longues lignées de médecins, notamment de médecins spécialistes des organes génitaux...

 

    Dans l'introduction d'un colloque de 1995, sur La place des femmes. Les enjeux de l'identité et de l'égalité au regard des sciences sociales, Michelle PERROT écrit :

"Ce livre remarquable, situé dans le sillage de Michel Foucault et de son Histoire de la sexualité, montre comment s'est effectuée à partir du XVIIIe siècle, avec l'essor de la biologie et de la médecine, une "sexualisation" du genre qui était jusque-là pensée en termes d'identité ontologique et culturelle beaucoup plus que physique... Le genre désormais se fait sexe, comme le Verbe se fait chair. On assiste alors à la biologisation et à la sexualisation du genre et à la différence des sexes. Les implications théoriques et politiques de cette mutation sont considérables.. D'un côté, elle porte en germe de nouvelles manières de perception de soi et notamment la psychanalyse (l'opposition phallus/utérus, la définition de la féminité en termes de manque, de creux, la "petite différence" fondant le grand différend). D'un autre, elle apporte une base, un fondement naturaliste à la théorie des sphères - le public et le privé - identifiées aux deux sexes, théorie par laquelle penseurs et politiques tentent d'organiser rationnellement la société du XIXe siècle. Cette naturalisation des femmes, rivées à leur corps, à leur fonction reproductrice maternelle et ménagère, et exclues de la citoyenneté politique au nom de cette identité même, confère une assise biologique au discours parallèle et conjoint de l'unité sociale."

    Dix ans plus tard, Annick JAULIN, auteur d'une thèse soutenue en 1995 sous le titre Genre, genèse, génération chez Aristote et publiée en 1999 sous le titre Eidos et ouisia. De l'unité théorique de la Métaphysique d'Aristote (Klincksieck), expose ses réflexions sur La fabrique du sexe. Étant donné que vient le temps de replacer très précisément cet ouvrage dans sa mouvance historique post-moderniste :

"Si j'annonçais au moment de présenter le livre de Thomas Laqueur, La fabrique du sexe (...) que je ne sais pas exactement quel est le sexe de ce livre ni le genre auquel il appartient, je risquerais de faire douter de mon aptitude à traiter de cette question. Je m'exprimerais donc autrement en disant que ce livre manifeste des tensions méthodologiques entre deux manières de concevoir et de faire l'histoire - une manière classique et une manière post-moderne - de sorte qu'il s'interroge sur son genre, et que cette interrogation le rend incertain sur la fabrique de son sexe, autrement dit le schème historique qu'il propose - le passage du sexe unique au modèle des deux sexes - est immédiatement remis en question par l'affirmation que "le sexe unique et les deux sexes coexistent au fil des millénaires". L'histoire fait bien les choses qui limite les possibilités à la seule alternative de un à deux sans quoi des possibles plus nombreux "au fil des millénaires" auraient pu transformer l'indécision en chaos. Le désordre n'est au reste pas toujours évité du fait de l'usage flottant du rapport sexe/genre dans les schémas proposés : dans le schéma d'origine, le modèle du sexe unique se définirait par le fait que le genre conditionnerait le sexe, tandis que dans le modèle des deux sexes, ce serait l'inverse puisque le sexe conditionnerait le genre. Cet usage flottant introduit des distorsions qui rendent le rapport entre le sexe et le genre, tel qu'il est défini dans le livre, parfois intenable pour l'auteur lui-même. 

Si ce qui vient d'être dit pousse à se demander s'il y a encore lieu de lire ce livre, je répondrais de manière tout à fait affirmative, non pour ce que son titre annonce, mais pour l'histoire des représentations médicales et surtout pour l'histoire de la médecine au XIXe siècle qu'il aborde dans les derniers chapitres (V et VI). Il est intéressant de remarquer que cet aspect de la recherche de Th. Laqueur est fortement lié à son histoire familiale : son père était médecin pathologiste et l'ai aidé "à interpréter les publications gynécologiques allemandes citées dans les chapitres V et VI et qui, pour certaines étaient l'oeuvre de ses anciens professeurs en médecine". De plus, son père était un expert et, comme il le dit lui-même, un "dé-constructeur" en ces matières et il a contribué à remettre en cause l'incommensurabilité de la différence entre les deux sexe (la version moderne donc), par ses travaux qui s'intitulaient "Nouvelles recherches sur l'influence de diverses hormones sur l'utérus masculin". Son père n'est pas seul en cause : son oncle était également médecin et l'un des "inventeurs des oestrogènes. Il isola l'hormone "femelle" des urines des étalons, soulevant par là même la fâcheuse possibilité d'une androgynie gynécologique au moment même où la science semblait avoir découvert la base chimique de la différence sexuelle." Le père et l'oncle de T. Laqueur sont donc des acteurs dans l''histoire qui est racontée dans les derniers chapitres et qui est une remise en cause des pouvoirs de l'anatomie. La thèse est, sur ce point, claire : "c'est l'histoire de l'aporie de l'anatomie, ce qui bien sûr est une critique directe de la thèse freudienne selon laquelle l'anatomie est le destin. Le dernier paragraphe du livre, intitulé "le problème de Freud", aborde le point de vue freudien d'une manière originale, c'est-à-dire du point de vue de l'histoire de la médecine. Le livre est donc précieux sur les débats médicaux relatifs à la construction des "faits" sexuels à la fin du siècle dernier."

 

Thomas LAQUEUR, La fabrique du sexe, Essai sur le corps et le genre en Occident, Gallimard, 2013. Traduction de l'anglais par Michel GAUTIER (Pierre-Emmanuel DAUZAT), 520 pages.

Annick JAULIN, La fabrique du sexe, Thomas Laqueur et Aristote, dans Clio. Femmes, Genre, Histoire, n°14, 2001. 

 

Relu et corrigé le 16 juin 2021

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4 septembre 2013 3 04 /09 /septembre /2013 16:36

         Pour le biologiste préoccupé par l'étude des conduites animales, le comportement sexuel est particulièrement intéressant comme modèle expérimental, indique Jean-Pierre SIGNORET.

A condition bien entendu de ne pas confondre des notions très différentes dont chacune doit faire l'objet d'un examen attentif pour ne pas tomber dans une conception simpliste du fonctionnement de la nature. A condition encore de ne pas étendre trop vite les résultats de l'étude des conduites animales aux comportements humains. A condition encore de bien distinguer des domaines différents d'investigation scientifique dans la mesure où, sans doute, nous ne sommes pas encore parvenu à un véritable tableau d'ensemble, bien que de plus en plus la masse des observations et des analyses sur différents aspects fondamentaux permet d'approcher la dynamique générale de l'ensemble, notamment par la multiplication des approches interdisciplinaires.

 

Le comportement sexuel

Pour reprendre les propos de notre biologiste, "par définition, (le comportement sexuel) n'apparait complet qu'à l'âge adulte. Il est de ce fait un modèle idéal pour l'étude des différents modes d'acquisition d'informations et de leurs rôles respectifs dans l'organisation d'une conduite : apprentissage, acquisition au cours de l'ontogenèse, adaptation évolutive de mécanismes innés, etc. Cela explique la place occupée par l'étude des parades nuptiales dans les travaux des éthologistes."

"Par ailleurs, poursuit-il, il est possible de relier les observations des comportements à des modifications de l'équilibre endocrinien, de l'anatomie de l'appareil génital, de la physiologie sensorielle, ce qui est particulièrement favorable pour l'étude des mécanismes de réalisation d'une conduite.

En outre, les développements de l'endocrinologie ont permis d'identifier les composés chimiques en jeu, et de déterminer leur mode et leur lieu d'action.

Il est donc possible de tenter d'analyser comment, à partir d'un signal simple - une molécule chimique bien connue - se produisent des modifications complètes des relations interindividuelles.

Enfin, la connaissance du comportement animal peut éclairer certains aspects des conduites humaines, à la condition que puisse être précisée la part des réactions que l'homme a en commun avec d'autres groupes zoologiques."

 

     Se concentrant sur les Mammifères, Jean-Pierre SIGNORET présente successivement les liens entre structures sociales et comportement sexuel, l'organisation et les mécanismes de l'activité sexuelle, l'action des facteurs de l'environnement, les mécanismes neuroendocriniens, le développement et la maturation du comportement sexuel, les correspondances entre comportement animal et comportement humain.

 

Structures sociales et comportements sexuels chez les Mammifères

      Sur les liens entre structures sociales et comportements sexuels, il souligne le fait que "le comportement sexuel n'est qu'un des aspects des relations interindividuelles existant au sein d'une espèce. Les rapports entre partenaires sexuels sont inséparables de l'ensemble de la structure sociale et de l'utilisation de l'espace par l'animal. Ainsi la relation entre mâle et femme déborde en général très largement l'activité sexuelle proprement dite et ne peut être étudiée et comprise que si elle est située dans l'ensemble du contexte social de l'espèce.

C'est en effet l'organisation sociale d'une espèce qui déterminera non seulement quels seront les partenaires sexuels, mais même quels seront les individus qui pourront accéder à la reproduction. Ce mécanisme met en jeu un événement crucial aussi bien pour l'espèce que pour l'individu : il détermine le flux des gènes à travers les générations. Pour l'espèce, ce choix porte les possibilités d'évolution, pour l'individu, l'assurance de la survie de son patrimoine génétique dans sa descendance.

Les structures sociales des Mammifères présentent une grande variété : occupation permanente d'un espace défendu contre l'intrusion de congénères - le "territoire" -, utilisation pacifique d'un domaine vital partagé avec d'autres, migrations." Dans le cycle des périodes d'activité et d'inactivité, "la relative brièveté de la période d'activité sexuelle de la femelle contrastant avec la plus longue disponibilité du mâle fait d'elle un objet de compétition. La possession exclusive et la défense d'un territoire conditionnent dans de nombreuses espèces la mise en place de l'activité sexuelle. (...) Lorsque les animaux vivent, au moins temporairement, en groupe, il apparait entre eux, en général, une hiérarchie sociale. Dans une situation de compétition, le dominé cède la place à l'animal supérieur. Lorsque la femelle en oestrus est l'occasion de cette compétition, le mâle inférieur peut être écarté du groupe social. (...) Souvent, cependant, les dominés ne sont pas exclus du groupe, mais seulement écartés de la femelle en oestrus. Ils n'en sont pas moins partiellement ou totalement exclus de la reproduction. (...) Cependant, les rapports de possession que suggèrent ces structures sont loin de refléter la réalité : l'existence d'une sélectivité sexuelle est observée dans de nombreuses espèces. Des couples permanents monogames ou polygames et exclusifs sont décrits aussi bien chez des Primates (gibbon) que des Carnivores (loup, renard) ou des Ongulés (Équidés). Un couple monogame peut exister au sein d'une meute de loups, alors que les autres rapports sont régis par une hiérarchie sociale. La sélectivité sexuelle est aussi bien le fait du mâle que de la femelle, même au sein du harem des chevaux. Enfin, même en l'absence d' une sélectivité complète, des préférences sexuelles sont observées dans la quasi-totalité des espèces (toujours des Mammifères) : la fréquence des accouplements varie considérablement selon le partenaire aussi bien chez le macaque et le chimpanzé que chez le taureau ou le bélier. La mise en place de la structure dans laquelle se déroulera l'activité sexuelle donne lieu à l'occupation d'une zone de nidification ou d'un territoire, la "prise de possession" d'un harem par l'élimination des mâles rivaux. Parades, menaces et combats ont été souvent décrits et popularisés par la photographie et le film.

Le résultat conditionne l'accès à la reproduction. Il aboutit fréquemment à une disjonction entre la puberté physiologique et la possibilité d'engendrer une descendance. Chez les espèces polygames, la femelle peut être fécondée dès la puberté. Mais dans les cas des espèces à longue durée de vie (des individus, l'auteur veut dire), il s'écoule plusieurs années entre la puberté physiologique du mâle et le moment où il commence à pouvoir s'accoupler. Alors que dans les espèces à couples monogames, il existe une équi-potentialité d'accès à la reproduction, la polygamie ne permet qu'à une faible partie de l'effectif de se reproduire.

Ces différentes "stratégies" auront des conséquences très importantes dans la répartition des flux de gènes au sein de la population ainsi que dans les possibilités d'évolution des espèces."

     Sur l'organisation et les mécanismes de l'activité sexuelle, il explique que "dans tous les cas, l'activité sexuelle commence par une recherche mutuelle du contact entre mâle et femelle. Les échanges d'informations sensorielles qui interviennent ont alors plusieurs fonctions : ils rendent d'abord possible l'identification de la réceptivité sexuelle du partenaire, puis provoquent les réponses comportementales qui induisent les réactions posturales nécessaires à l'accouplement. 

Cependant, l'activité sexuelle ne se termine pas après un premier accouplement, et dans la majorité des espèces, des copulations répétées prennent place selon un déroulement temporel précis, constituant une séquence complète."

     Sur l'action des facteurs de l'environnement figurent la présence d'autres animaux, les modifications de l'environnement et les phénomènes d'éveil et enfin le rythme nycthémétal (période de la journée) et saisonnier. 

Si le changement des partenaires sexuels provoque chez le mâle de nombreuses espèces une augmentation de l'activité sexuelle, l'effet des congénères peut apparaitre d'une manière moins spécifique : la présence d'animaux effectuant une activité sexuelle facilite l'apparition des réactions sexuelles chez des mâles antérieurement inactifs. il y a là un "effet de groupe" observé dans de nombreuses espèces. 

Une modification de l'environnement semble provoquer une augmentation du niveau d'éveil du mâle et favoriser un renouveau de son activité sexuelle, comme s'il s'agissait d'un mécanisme de défense visant à sauvegarder les potentialités de reproduction. Ce changement d'environnement possède, comprenons-nous, une force supplémentaire lorsqu'il fait intervenir des modifications dans les périodes d'ensoleillement et de luminosité, comme dans le rythme des saisons. Ceci est à noter dans les périodes de grands changements climatiques, qui bouleversent les conditions de reproduction des différentes espèces.

     Sur les mécanisme neuroendocriniens, il décrit le résultat de très nombreux travaux sur le rôle des hormones dans le comportement sexuel du mâle comme dans celui de la femelle, le rôle des hormones sur la nature et l'intensité du comportement sexuel, le rôle du système nerveux, le rôle des afférences sensorielles.

    Sur le développement et la maturation du comportement sexuel ; "Fonctionnellement, le comportement sexuel doit être d'emblée efficace pour pouvoir permettre la survie de l'espèce. A l'opposé de la plupart des autres comportements, ceux qui concernent la reproduction - accouplements et conduites parentales - ne peuvent être appris progressivement. Ils doivent apparaitre fonctionnels à l'âge adulte. Toutefois, la longue période qui chez les Mammifères précède la puberté peut être mise à profit pour étudier l'importance de l'organisation des conduites adultes par les informations acquises au cours du développement. Mais les conduites de reproduction peuvent, comme tous les autres, faire l'objet d'un apprentissage. Enfin, au plan du système nerveux, la maturation et la sexualisation des structures neuronales conditionnent la réalisation des conduites. 

 

Correspondances entre comportements animaux et comportements humains

     Sur les correspondances entre comportement animal et comportement humain, Jean-Pierre SIGNORET expose plusieurs points :

- "La force et la profondeur de la pulsion sexuelle suggèrent l'existence d'un déterminisme biologique. On tendrait à considérer l'ensemble du domaine sexuel comme ressortissant à la biologie, en limitant la dimension socio-culturelle, à l'addition d'un mélange de permissions et d'interdits, à un phénomène purement physiologique. Or il semble possible, au contraire, de discerner en de nombreux domaines une participation extrêmement importante et souvent dominante des influences socio-culturelles, souvent là où on les attendait le moins. Ailleurs, des mécanismes, pourtant considérés en général comme spécifiquement humains, plongent leurs racines très loin au-dessous de notre espèce. Celle-ci a élaboré un extraordinaire contexte culturel et sociologique autour de la relation entre partenaires sexuels, mais l'existence d'une liaison interpersonnelle se prolongeant au-delà des relations sexuelles est une dominante de l'espèce : sa force et son retentissement émotif suggèrent que la notion du couple humain comporte une base biologique profonde sous des aspects psychologiques, affectifs, moraux ou culturels.

- Ces phénomènes socio-culturels ont pris une place très inattendue en ce qui concerne la séquence comportementale des relations sexuelles. (...).

- En ce qui concerne les mécanismes nerveux et hormonaux, l'homme apparait comme le terme d'une évolution où la part prise par le système nerveux central devient dominante, tandis que le signal hormonal, tout en restant présent et actif, perd de son importance pour n'être que facultatif. On retrouve dans l'espèce humaine des traces indéniables de l'équilibre endocrinien, mais il existe d'innombrables cas cliniques rapportant l'existence d'un comportement apparemment "normal", malgré des déficiences hormonales ou anatomiques aussi fondamentales que l'absence de gonades ou divers degrés d'infantilisme génital, chez la femme par exemple.

- Parmi les signaux responsables du déclenchement immédiat de la pulsion sexuelle, le signal visuel semble avoir, comme chez l'animal, une importance particulière. De même une représentation, même symbolique, du déclencheur conserve son efficacité. De même une représentation de l'activité sexuelle, possède aussi, comme chez l'animal, un effet d'augmentation de la motivation, si bien que la pornographie met en jeu des mécanismes élémentaires communs à l'animal et à l'homme. Il en est exactement de même des phénomènes de satiété spécifique que l'on retrouve dans l'espèce humaine, en compétition d'ailleurs avec la motivation à une liaison interpersonnelle.

- L'effet de facteurs agissant dans le jeune âge sur l'organisation du comportement est établi par les observations cliniques que Freud a inaugurées. (...)

- On en vient ainsi à souligner la prise en charge, dans le cas de l'homme, de comportements réputés instinctifs par les mécanisme nerveux supérieurs faisant intervenir le cortex cérébral, puisque les régulations hormonales et les inflexions nerveuses profondes (diencéphaliques) apparaissent filtrées, amoindries ou modifiées, masquées ou exacerbées par le contrôle des centres supérieurs, allant jusqu'à susciter ou à réprimer un comportement en contradiction avec un déterminisme profond, donc à permettre ce que l'on pourrait appeler la liberté."

   Même si nous laissons à cet auteur cette conception de la liberté - qui se défend d'ailleurs avec beaucoup d'arguments solides - nous en tirons la conclusion de la malléabilité du comportement sexuel, malléabilité constatée dans de nombreuses occasions chez les Primates, malléabilité extrême chez l'homme, puisque son comportement individuel peut même se trouver en contradiction avec des impératifs de reproduction.

 

Des hypothèses sur l'évolution générale des comportements sexuels

    A un niveau plus global, plusieurs hypothèses ont été émises sur l'évolution générale des comportements, notamment de la sexualité et de son rôle dans la sélection naturelle. Après bien des débats, il semble bien que la théorie darwinienne de l'évolution soit la seule aujourd'hui à donner le tableau d'ensemble que nous mentionnions plus haut.

Ce tableau d'ensemble - que les théories sur l'évolution tentent de dresser - relie l'ensemble des phénomènes naturels, du microscopique (au niveau génétique) au macroscopique (au niveau social), d'une espèce et de ses relations avec les autres espèces, souvent avec des éclairages plus forts sur certains aspects, d'autres restant dans le domaine des hypothèses les plus prudentes.

Ce que l'on a appelé la lutte pour le vie, donnant à cette expression souvent un visage guerrier, s'éclaire sous des jours nouveaux, dans une réalité très complexe, où sont de règle les interactions en cascade, entre végétaux, entre animaux et végétaux, entre animaux, entre l'ensemble des espèces et environnement, à l'intérieur d'une même colonie géographiquement délimitée, etc, etc... Mouvement perpétuel, où ne "gagnent" en définitive que les espèces qui savent s'adapter aux constants changements de leur environnement...

 

Sexualité et Évolution

     Francesco M SCUDO  présente les relations entre Sexualité et Évolution, à plusieurs niveaux, la notion de sexualité recouvrant au moins trois catégories de phénomènes :

- l'échange génétique entre individus, débouchant sur la recombinaison génétique ;

- l'alternance entre phase haploïde (présence dans chaque cellule d'un seul lot du matériel génétique de l'espèce) et phase diploïde (deux lots de ce matériel par cellule), constituant le cycle de reproduction sexuée ;

- la polarité, la différenciation de cellules (gamètes) ou d'individus au comportement différent (dans le cas le plus simple, deux catégories qualifiées de mâle et femelle).

"Cependant, à la différence de ce que l'on constate chez l'Homme et les animaux dits supérieurs, il n'y a pas de lien absolu entre ces trois catégories de phénomènes, ni même entre ceux-ci et la reproduction proprement dite. 

   

    L'auteur évoque l'histoire des études modernes sur la sexualité, renvoyant à DZAPARIDZE (Sex in plants, 2 volumes, Jerusalem, Israel Prog Sci, Tran, 1967) pour les théorisations plus anciennes.

"Bon nombre d'études de Darwin portèrent précisément sur la reproduction et la sexualité ; elles contiennent le socle de sa distinction fondamentale entre sélection naturelle et sélection sexuelle, et de ses conclusions concernant les avantages de la reproduction croisée. (...) Parmi les progrès importants qui accompagnèrent ou suivirent de près le travail de Darwin, il faut citer la mise en évidence des chromosomes dans les noyaux cellulaires des organismes aujourd'hui désignés sous le terme d'Eucaryotes, la description de leur dynamique au cours des divisions cellulaires, et l'éclairement de certains aspects de l'alternance entre phase haploïde et phase diploïde. (...) Ces (travaux) restèrent (...) ignorés de la communauté scientifique, de telle sorte que l'étude des relations entre reproduction, hérédité et sexualité ne se développera qu'à partir du début du XXe siècle en termes d'examen du matériel génétique tel qu'on l'observe chez les Eucaryotes sous la forme de chromosomes. Durant toute la première moitié du siècle, les études génétiques prennent une place de plus en plus considérable, mais ne font guère référence à la nature physico-chimique du matériel génétique. Dans ce contexte, on analyse en détail la diversité des modalités de la division cellulaire et à la différenciation sexuelle, tant en haplophase qu'en diplophase, chez les Végétaux, les Animaux et chez les Eucaryotes unicellulaires ou Protistes. (...)

Jusqu'au milieu du XXe siècle, on considérait que les phénomènes sexuels étaient caractéristiques des organismes pourvus d'un noyau, mais totalement absent chez ceux qui en sont dépourvus ou Procaryotes. A la découverte de l'échange génétique par une forme de conjugaison entre Bactéries, différenciées en types complémentaires polarisés, fit bientôt suite celle d'échanges génétiques entre Bactéries par l'intermédiaire de Virus. On découvrit plus tard la transcription inverse - de l'ARN à l'ADN - des génomes d'une vaste classe de Virus eucaryotes à ARN, les Rétrovirus. On sait depuis les années 1970 que leur cycle comporte une alternance de phases présentant certaines analogies avec le cycle de reproduction sexuée des Eucaryotes. Il n'y a donc plus aucun sens à aborder l'évolution des changements génétiques, de la polarité, du sexe et de l'alternance de générations seulement, ou presque, à propos des organismes nucléés, alors que son traitement étendu aux Bactéries et aux Virus conduit nécessairement à considérer l'origine des formes vivantes actuelles, problématique qui comporte au demeurant des éléments encore largement hypothétiques."

 

    Francesco SCUDO examine alors la logique d'ensemble des problèmes, considérant d'abord l'origine des processus vitaux fondamentaux, des cellules, et la sexualité "bactérienne" ou "virale". Il passe ensuite à l'examen de la sexualité au niveau "gamétique" et à l'évolution de la polarité et du sexe dans la phase diploïde des plantes et des animaux, et examine enfin diverses théories à caractère général sur les phénomènes liés à la sexualité et à la reproduction, en se ressérant à la fin sur les Primates supérieurs. C'est tout ce champ de recherches qui forme le vaste tableau d'ensemble en formation de l'évolution.

 

Des théories sur l'Évolution

    Nous nous intéresserons ici surtout aux théories à caractère général sur les phénomènes liés à la sexualité et à la reproduction.

    Il faut dire, et l'auteur s'attache à bien le faire comprendre que beaucoup de nos conceptions proviennent de théories qui ont été élaborées avant les connaissances précises sur la sexualité, et qu'elles ont assimilées ces connaissances en quelque sorte, beaucoup d'informations "prouvant" au niveau le plus petit, ce que Darwin avait établi au niveau le plus grand de l'ordre naturel.

Les théories darwiniennes modernes vont toutefois beaucoup plus loin que la formulation que Darwin en avait donné. Elles spécifient les relations entre variations fortuites, ou dues à des effets non sélectifs, dans la composition génotypique, leurs effets sur les phénotypes et les différents effets sélectifs de la lutte pour l'existence. Il s'agit de bien comprendre comment un certain matériel génétique donne les caractéristiques d'un individu, et comment sa recomposition par la reproduction change ces caractéristiques (en fait la "traduction" génotype en phénotype) compte tenu de phénomènes trouvés dans l'étude de cette recomposition aux niveaux les plus petits. Pour autant, les processus de connaissances scientifiques ne sont pas des fleuves tranquilles et toujours logiquement enchaînés dans le temps les uns aux autres. D'autres théories que celles de Darwin voient le jour au XIXe siècle et sans doute est-ce le lot commun de beaucoup de théories d'être réinterprétées à la lumière de notions élaborées en dehors d'elles et parfois en compétition avec elles.

Ainsi, dans les théories sur l'évolution, se généralise le recours au mot d'origine anglais fitness, émigré du vocabulaire de l'évolutionnisme philosophique au vocabulaire démographique et génétique. Son origine est à rechercher dont la notion de sélection naturelle de Charles DARWIN reformulée sous l'influence de Herbert SPENCER. Michel GILLOIS explique que "cette notion, dans l'exposé de Darwin, est très riche :

- d'une part, elle souligne l'importance du rôle tenu par de petites différences héritables, favorables ou non, apparaissant chez des individus au sein des différentes sous-populations ou populations d'organismes ;

- d'autre part elle désigne comme susceptibles d'assurer le maintien, l'élimination, la modification de ces différences, les facteurs suivants : la viabilité, l'adaptabilité, la longévité, la fécondité, le partage des ressources disponibles."

La fitness est un paramètre démographique et écologique, qui finit par être une expression tautologique de la sélection naturelle, selon le même auteur. 

    Pour reprendre l'explication de Francesco SCUDO, "en termes techniques contemporains, cela implique d'évaluer les conditions dans lesquelles des modèles pensés en termes de différences en "fitness" relative entre phénotypes individuels, ou entre groupes socio-sexuels à l'intérieur de populations, sont des approximations satisfaisantes de la lutte pour l'existence traitée directement comme telle. Dans l'évaluation des rapports entre fitness relative et absolue - et de la manière dont leurs moyennes dans les populations locales influencent la dispersion, la survivance, etc. 

     Les théories "synthétiques", à l'inverse, tendent à traiter la fitness comme la propriété exacte  ou absolue des génotypes - en spécifiant seulement d'une façon vague si elle est constante plutôt que dépendante des fréquences géniques dans les populations ou de la densité de celles-ci - tandis qu'elles rejettent les théories darwiniennes de la lutte pour l'existence. (...). Dans leurs nombreuses variantes, les théories de type synthétique diffèrent des darwiniennes dans le fait de se concentrer sur les variations génotypiques considérées comme fortuites - et tout au plus sujettes à des limitations dans leurs expressions sélectionnables - et dans leurs effets sur la fitness des individus. Il n'est donc pas étonnant qu'elles proposent des interprétations très différentes des théories darwiniennes."

     Nous n'entrerons pas dans le détail du "débat" entre ces différentes théories, et passons directement à comment "les théories darwiniennes s'accordent avec les épiphénomènes de la sexualité, avant tout au niveau de l'organisme, c'est-à-dire avec les lois d'origine et d'évolution des réactions morphogénétiques aux conditions de vie", que l'on peut résumer ainsi :

- Toute réaction morphogénétique apparait comme dépendante d'un nouveau stimulus "externe" - qui détermine si et où elle advient - et tend à être proportionnelle à l'intensité de ce même stimulus.

- Si elle persiste assez longtemps, cette réaction tendra à devenir autorégulatrice, c'est-à-dire du type "tout ou rien", suivant que l'intensité du stimulus externe dépasse, ou non, une valeur de seuil génétiquement programmée.

- Les réactions "de seuil" tendent ensuite à être modifiées de façon à devenir complément autonomes par rapport aux condition de vie, en ce sens que les conditions de vie déterminent seulement si la réaction peut advenir ou non, c'est-à-dire si un développement non pathologique est possible.

- Une évolution ultérieure, enfin, tendra à faire apparaitre des normes autonomes de réaction d'une manière toujours plus précoce dans le développement, de telle sorte qu'elles deviennent régulatrices : après qu'une telle réaction s'est manifestée comme norme dans une population, elle peut être amplement modifiée au gré des conditions de vie individuelles, généralement à travers les réponses comportementales appropriées.

  "Qu'il s'agisse de spermatozoïdes et d'oeufs, de micro- et macro-gamètes, ou de mâles et de femelles, poursuit plus loin notre auteur, le sexe pose d'une façon cruciale le problème de ce qu'il faut "investir" dans l'un plutôt que dans l'autre et "pourquoi". C'est un problème que Darwin s'était posé longtemps (...) concluant sagement qu'il était mieux de confier la solution au futur. C'est précisément sur la manière de poser ce problème qu'il existe une divergence apparemment insurmontable entre les théories darwiniennes modernes et les théories néo-darwiniennes ou synthétiques, divergences qui porte surtout sur l'ordre dans lequel exécuter  deux types d'analyse aux finalités analogues. Étant donné qu'il donne la prééminence aux propriétés générales de la lutte pour l'existence, le théoricien darwinien en vient d'abord à poser le problème des causes générales de succès ou d'insuccès en ces termes, et, seulement après les avoir identifiés, à tenter de comprendre les mécanismes particuliers à travers lesquels ce succès est obtenu. Les théoriciens synthétiques refusent catégoriquement cette pratique pour des raisons qui nous semblent incompréhensibles, telles que le fait d'impliquer des explications de l'évolution en termes d'avantages attribués aux espèces, et pour cela illégitimes ; il apparaitra évidemment au lecteur que cette position conduit les théoriciens synthétiques à des interprétations de la sexualité (...° clairement non satisfaisantes de leur propre aveu". 

      "Les théories sur la sexualité (...) consistent, selon les cas, en différents niveaux de généralisation d'observations et de constructions principalement déductives fondées sur des phénomènes généraux connus empiriquement, comme le comportement du matériel héréditaire à la méiose et son transport par des mécanismes viraux. Une partie de ces généralisations semble naturelle, mais n'a pas encore un sens évolutif précis, comme les relations entre polymorphismes génotypiques immunitaires et sexuels ; la nature précise et l'histoire évolutive de ces relations ne pourront être comprises que moyennant des connaissance au niveau moléculaire bien plus vastes que celles dont nous disposons aujourd'hui. D'autres phénomènes ne nous sont connus que parce qu'ils sont aisément observables dans telle ou telle unité systématique ; ne connaissant pas leurs origines, nous ne percevons qu'imparfaitement leur signification adaptative." 

 

      Dans sa "Note sur les primates supérieurs", nous pouvons lire  : "Chez les Vertébrés homéothermes, la reconnaissance d'un partenaire "correct" est largement apprise, mais à travers des modalités instinctivement programmées dans des formes relativement rigides - cour nuptiale et accouplement adviennent normalement à travers des modules comportementaux "innés". Chez les mammifères "avancés", tels que les Félidés, ces modules peuvent cesser d'être utilisés, mais seulement à la suite d'une longue habitude entre les mêmes partenaires sexuels. Chez les Singes anthropomorphes et chez l'Homme, au contraire, il ne semble n'y avoir aucune trace de modules comportementaux innés pour les comportements sexuels, à l'exception peut-être de leurs manifestations in utero, et il y a seulement un petit nombre de comportements à signification socio-sexuelle comme le sourire et le baiser chez l'Homme. 
Chez les Singes anthropomorphes, aussi bien l'objet propre du comportement sexuel - c'est-à-dire un cospécifique de l'autre sexe, en oestrus s'il est femelle - que le comportement lui-même sont donc appris essentiellement par l'observation, mais aussi par l'enseignement actif (...) La conséquence directe de ces caractéristiques est que le mâle des Singes anthropomorphes, dans des conditions normales, ne commence à s'accoupler avec des femelles en oestrus que longtemps après avoir atteint la pleine maturité "physiologique", comme c'est le cas chez le Gorille, qui ne le fait que lorsque le poil de l'échine a commencé à devenir gris.

Parmi les différentes caractéristiques socio-sexuelles par lesquelles l'Homme se distingue des autres Primates, la plus importante peut-être est le manque de toute manifestation visible de l'oestrus. Dans les sociétés humaines qui sont dites aujourd'hui "primitives", l'apprentissage du comportement sexuel se fait ordinairement par l'enseignement, suivant des canons précis à l'intérieur de chaque culture, et très variables de l'une à l'autre. Normalement, cet enseignement est dispensé par les adultes du même sexe, et il est souvent intégré par des expériences rigoureusement limitées avec des individus plus mûrs. Dans les sociétés dites "développées", des conduites coutumières n'ont pas cours, mais tendent à être relayées par une éducation plus théorique dans le cadre de l'École et d'organisme de protection de la jeunesse et de la santé."

 

     Le lecteur qui peut se procurer de l'intégralité de l'article ne manquera pas d'être surpris par le changement d'échelle entre l'ensemble et cette note. Nombre d'explications - très techniques - portent sur des niveaux microscopiques d'organisation du vivant (dans diverses espèces aux caractéristiques très différents), parfois reliées à des observations sur les comportements, et il est difficile, d'ailleurs l'auteur lui-même le souligne à diverses reprise, de faire le pont entre le fonctionnement sexuel du vivant au niveau cellulaire et son évolution, comme entre ce fonctionnement et les comportements "extérieurs" vis-à-vis des partenaires comme dans l'environnement de manière générale. Nous pouvons tirer la conclusion que les théories sur la Sexualité et l'Évolution ne sont encore que partielles, même si se dresse un tableau d'ensemble sur l'Évolution, et donc sur ce qu'on appelle couramment la lutte pour la vie. Ce tableau d'ensemble dans lequel nous pourrions suivre à la fois dans le temps et dans l'espace les processus d'évolution à travers la sélection sexuelle, n'existe pas encore réellement. A notre avis, sans doute les options idéologiques et morales sont-elles pour quelque chose dans la difficulté d'avancer dans ce domaine. Même si par ailleurs, la poussée économique aboutit à des recherches directement sur l'embryon animal et humain, pour des réalisations commercialisables, sans égards sur les conséquences à moyen et long terme. 

 

    Jean-Louis LAROCHE résume bien cette perspective phylogénétique de la sexualité. "La sexualité déploie des significations de plus en plus complexes à mesure qu'on s'élève dans l'échelle zoologique. Sa présence est réelle mais discrète dans le monde des unicellulaires. Les travaux de E. L. Wollman et F. Jacob  sur la génétique microbienne reposent précisément sur la découverte qu'il existe chez les bactéries une polarité sexuelle et qu'au hasard des collisions une bactérie donatrice injecte un segment de son chromosome dans une bactérie réceptrice. Ces phénomènes de conjugaison ne jouent qu'un rôle marginal dans la reproduction. D'ordinaire, les bactéries se multiplient par fission et, entre elles, il peut y avoir transfert de matériel génétique  par l'entremise de virus ou par l'absorption de gênes libérés dans des broyats bactériens. Chez les êtres pluricellulaires, les cellules se spécialisent, en même temps que s'accroissent les échanges avec l'extérieur. Dès lors, la reproduction par conjonction de deux cellules produites par des organismes différents s'impose comme règle générale. Ce qui a pour effet, en brassant les programmes génétiques et en substituant l'altérité à l'identité, l'espèce à la lignée, la mort individuelle à la dilution indéfinie, de contranidre au changement et d'offrir un terrain diversifié au tri de la sélection naturelle.

Facteur d'évolution, la sexualité ne cesse d'évoluer. Elle apparait d'abord sous le contrôle exclusif des informations codées dans les gènes. Ensuite, chez les vertébrés et quelques invertébrés, s'ajoute un contrôle hormonal. Enfin, se superposant à eux, les dispositions cérébrales des mammifères introduisent une liberté de choix et inaugurent la voie qui franchira chez l'homme la distance de l'imaginaire et du symbolique, ce que J. Monod appelle les "simulations" en circuit fermé. Au terme de l'aventure, serait-il étonnant que la sexualité accède elle-même aux dimensions d'une langage?"

 

ETHUS

 

Francesco M SCUDO (traduction Patrick TORT, révision Jean GÉNERMONT, Sexualité et Évolution, dans Dictionnaire du Darwinisme et de l'Évolution, Sous la direction de Patrick TORT, PUF, 1996. Jean-Pierre SIGNORET, Comportement sexuel, dans Encyclopaedia Universalis, 2004. Jean-Louis LAROCHE, article Sexualité - Perspective phylogénétique, dans Encyclopaedia Universalis 2004.

 

Corrigé et complété le 20 septembre 2013 (Le correcteur d'over-blog nous laisse toujours en rade...). Relu le 22 juin 2021

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19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 13:26

       Loin du mythe de Pasteur apportant au monde qui n'attendait qu'un sauveur de ce genre la connaissance des causes de toutes les maladies, le philosophe et sociologue des sciences propose, à partir d'un travail surtout fondé sur la lecture et l'analyse des revues médicales françaises entre 1870 et 1914, de montrer comment la bactériologie et la société française se sont transformés ensemble.

L'invention proprement politique d'une science, d'un savant et d'une époque se trouve mis en évidence. Pasteur apparaît, dans les détails de son travail sur les microbes, comme un remarquable sociologue et comme un fin politique, puisqu'il parvient à ajouter les microbes au corps social. Dans cette étude classique en histoire sociale des sciences, Bruno LATOUR invite à revenir sur la division entre rapports de force et rapports de raison, entre politique et savoir. 

 

         A partir de ses laboratoires, où seuls un appareillage sophistiqué permet de voir et de comprendre les bactéries, Pasteur et ses collègues introduisent un bouleversement du métier de médecin, dans le mouvement ample de l'hygiénisme.

La découverte de l'existence de ces micro-organismes et de leurs actions sur les corps, de leur responsabilité première dans les épidémies, fait d'abord penser, si l'on lit les Annales de l'Institut Pasteur, à l'éradication prochaine des maladies, donc à la disparition pure et simple de la fonction médicale. Avec l'auteur, nous pouvons suivre toute l'histoire de cette pasteurisation de la société, non comme le triomphe de laborantins sur tout le corps médical, mais comme le progressif passage d'un marché entre des médecins de toute façon indispensable à la diffusion des techniques de vaccination et des biologistes convaincus et convainquant de cette révolution scientifique. Après de longues batailles intellectuelles rapportées par les revues médicales (dont deux grandes rivales) contre les principes mêmes de cette pasteurisation, ce marché, qui transforme la déontologie médicale (qui passe d'une relation stricte entre médecin et malade à une relation entre trois acteurs, l'État et les deux premiers, pour le contrôle des populations et des personnes à risques, permet à cette profession d'obtenir que l'État "déparasite" la France, des pharmaciens, des charlatans et des bonnes soeurs. Et dans la foulée d'organiser une formation médicale scientifique, qui débouche sur un monopole d'exercice de la médecine....

L'auteur situe exactement la date de cette dérive : "La dérive ou le déplacement pastorien passant des vaccins aux sérum via l'immunologie, offre aux médecins à partir de 1894 un moyen de continuer leur métier traditionnel d'hommes qui soignent, mais avec une efficacité renforcée par le pastorisme. Ils y gagnent, au prix d'un petit équipement de laboratoire, les moyens d'assurer le diagnostic et de traiter la diphtérie. Les pastoriens offrent alors aux médecins l'équivalent de la variation de virulence que les hygiénistes avaient aussitôt traduit en "milieu contagion". Dès qu'ils peuvent continuer de faire ce qu'ils faisaient, les mêmes médecins qu'on disait étroits et incompétents se mettent aussitôt en mouvement, preuve exemplaire de la fausseté du modèle diffusionniste." Conclusion de cette "révolution" qui se résume finalement en une évolution : "Après 50 années de travaux en laboratoire, après 30 ans de déclarations fracassantes sur la disparition des maladies infectieuses et la fondation de la nouvelle science médicale, on a ajouté à la pratique médicale quelques lignes au milieu des pages et des pages de ce qu'on faisait avant. La coupure épistémologique radicale est une fine indentation dans la pratique du plus grand nombre". Ce n'est d'ailleurs qu'une fois le monde médical transformé que la coercition peut s'exercer sur des populations réticentes au contrôle sanitaire

     Avec la réserve qu'il faut se garder de fonder une analyse sociologique uniquement à partir des différents acteurs et de ce qu'ils vivent - car après tout, tout de même, le monde après la pastorisation a vraiment changé - les hommes savent qu'ils doivent compter sur ces acteurs microscopiques dans la longue chaînes des conflits - l'étude du professeur à l'École des mines de Paris, indique que dans le mouvement entre les acteurs, s'agissant de la santé, n'est pas simplement l'assimilation progressive de nouvelles découvertes scientifiques par la société, mais souvent au contraire, un jeu de rapports de force parfois très complexe. Loin d'être la marche progressive de la raison qui transforme la société, l'histoire des sciences - comme le montre cette portion d'histoire de la médecine - est souvent faite de heurts, où la contingence - des événements hors du champ de la découverte scientifique considéré, d'ordre politique, voire même politicien, joue un grand rôle. 

   L'auteur tente de systématiser les enseignements de cette analyse historique, qui vient après un certain nombre d'ouvrages sur "la science en action", dans une deuxième partie du même livre intitulée Irréductions. Petit précis de philosophie (sans prétention) dans lequel l'auteur se propose de pratiquer, au lieu des réductions qu'impose la division entre science, nature et société, des irréductions. Il s'agit surtout de ne pas analyser les choses uniquement d'après le résultat final. Les lignes des rapports de forces ne convergent pas tous obligatoirement vers une conclusion nécessaire. L'objectif de ces irréductions doivent permettre, dans l'esprit de l'auteur, de rendre les sciences et les techniques moins opaques et peut-être moins périlleuses.

 

Bruno LATOUR, Pasteur : guerre et paix des microbes, suivi de Irréductions, La Découverte/Poche, collection Sciences humaines et sociales, 2001, 346 pages.

 

Relu le 15 septembre 2020

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