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29 juin 2016 3 29 /06 /juin /2016 11:54

      Excusez le titre qui fait appel à un phénomène physique bien connu, à la masse critique nécessaire pour que des matériaux fissiles participent à une explosion nucléaire, en le reliant à la sociologie de sociétés qui explosent. Celles-ci, sensées, surtout depuis qu'il existe des États nationaux, être globale et constituée de groupes sociaux en fortes relations les unes avec les autres, notamment dans leurs activités économiques et culturelles., pourraient ne plus l'être à cause de gouffres entre les niveaux de richesses des populations qui les composent.

Vu l'état des inégalités économiques actuelles, où l'on ne chiffre plus qu'en moitié des richesses disponibles pour la plus grande partie de la population, l'autre moitié étant à la disposition d'un pourcentage de plus en plus faible de celle-ci, on peut se poser la question, en doutant de plus en plus, de la communauté réelle de la vie sociale. En fait, c'est pire, d'un côté des dizaines de milliardaires qui ne savent pas quoi faire de leur argent, de l'autre des milliards d'êtres humains pauvres ou miséreux...

  Un récent rapport de la Boston Consulting Group (BCG), cabinet américain de conseil en stratégie, rendu public (et relayé par certains médias) en juin 2016, révèle que la richesse mondiale privée, c'est-à-dire les actifs financiers des ménages hors immobilier - épargne bancaire (compte, livrets, etc), épargne financière (actions, obligations, etc) et assurance-vie, se concentrent de plus en plus entre les mains de plusieurs millions de millionnaires (moins d'une vingtaine) dans le monde. Les riches sont de plus en plus riches même si la pauvreté diminue globalement, et cela à l'intérieur de pratiquement tous les pays du monde. En reprenant les sources Forbes, Réserve fédérale des États-Unis, Economic Policy Institute (EPI), on peut faire la comparaison entre une famille, propriétaire de la chaine de grande distribution "Wallmart", qui en 2013 pesait 172 milliards de dollars et 2 257 000 autres familles américaines engrangeant dans le même temps le même revenu...

Un certain nombre d'éléments font penser qu'il n'existe déjà plus, dans certains pays, même si c'est plus sensible dans certains régions que dans d'autres, de société - non pas homogène, car elles ne l'ont jamais été - globale réelle, mais  des sociétés juxtaposées où les individus et les groupes ne partagent plus l'ensemble des situations, des valeurs et des problèmes quotidiens. Quoi de commun peut-il exister en effet entre des quartiers résidentiels pourvus en interne de toutes les commodités de la vie ordinaire et de toutes les distractions possibles, habités par des gens pourvus d'un emploi parfois fortement rémunéré, parfois protégés de l'extérieur par des systèmes de sécurité privés, et d'autres quartiers, bien plus peuplés, bien moins pourvus en transports, services divers, n'ayant même pas parfois l'eau courante, en moyens de distraction, habités en grande partie par des chômeurs à long terme? S'il n'y avait pas de télévision, d'Internet, de moyens divers de communication à distance, quelles pourraient être les éléments qui unissent des populations aux niveaux de richesse si éloignés?

Seuls le sentiment de participer à des manifestations sportives en commun, de s'attarder en masse devant des émissions de reality show, de regarder la télévision encore (mais même cela est de moins en moins vrai) aux mêmes heures devant les mêmes journaux télévisés, de participer, via toujours les moyens de communication de masse, à des événements à forte charge émotionnelle (spectacles ou drames, attentats divers et variés) - bref plutôt des sentiments de vivre encore ensemble plus que de la réalité de vivre ensemble - peuvent unir des populations aux standings de vie si éloignés. 

Bien plus, s'il ne s'agissait que de grandes parties de population vivant en fait séparément, mais se partageant de manière encore massive les richesses, on pourrait encore parler de société au singulier. Mais, là, il s'agit d'une minorité, qui se chiffrent en millions de personnes, qui accapare plus de la moitié des richesses. Leurs moyens leur permettent de vivre sans les autres, ces pauvres et ces très pauvres, qui manquent de système de transports adéquats, qui respirent un air plutôt moyen, qui sont bien plus vulnérables aux accidents de vie, que ces accidents soient collectifs ou individuels. Ces moyens leur permettent de faire fonctionner une économie et une vie culturelle sans les autres, et même, si des jalousies excessives se manifestaient, de se défendre. Ils commencent à en avoir les moyens, mais ne les utilisent pas encore (pas tous) de manière conscience et systématique. Si on en doute, il suffit de revenir un peu en arrière sur la situation de l'Afrique du Sud (et même plus largement en Afrique australe), où le "développement séparé" ou apartheid était non seulement pratiqué mais justifié. 

Il est tout de même surprenant d'entendre de la bouche de milliardaires la nécessité de redistribuer ces richesses, de payer plus d'impôts, alors qu'en face les systèmes politiques, juridiques, économiques incitent à des concentrations de plus en plus grandes de ces richesses. On se croirait revenu aux temps de l'Empire Romain, avec une idéologie pourtant bien différente - idéologie dominante qui sert véritablement de camouflage et de détournement des réalités - où les différentes aristocraties faisaient de l'évergétisme à tout va, où les bienfaits privés remplaçaient les services publics... Et encore, aujourd'hui, la plupart de ces nantis n'en fait rien!

     La masse critique dont on parle ici est la masse suffisante de richesses concentrées pour que des millions de personnes se séparent tout bonnement des milliards restant, et cela de manière disséminée sur l'ensemble de la planète....

Vu la faiblesse croissante des puissances publiques, corrélativement à l'accroissement de tous les moyens économiques, politiques, juridiques, culturels aux mains de minorités dispersées dans le monde entier, il suffit de pas grand chose, idéologie de l'individualisme aidant, pour que s'agglutinent autour des îlots de richesse, à la manière des châteaux-fort d'autrefois, toute une domesticité, tout un ensemble de populations dont la seule raison d'être est d'entretenir des domaines de plus en plus vastes. Se mettraient facilement en place des forces sociales, géographiquement situées (le vivre entre soi est important!), dominant chacune des régions plus ou moins grandes, des populations plus ou moins étendues - ces forces concentrant légitimité juridique et morale, moyens militaires et policiers, outils de communications et de toutes formes de propagandes... Plusieurs dizaines de millions de personne semblent une bonne masse critique pour que de telles forces émergent, prolifèrent, deviennent les principales forces  agissantes politiques et économiques, d'autant qu'elles sont bien plus reliées entre elles que les autres catégories des populations, la poursuite de l'automatisation des processus de production et de distribution aidant amplement à se passer de populations pauvres qu'il conviendrait alors de surveiller, là aussi de manière automatisée, et ceci d'autant plus facilement que ces populations auraient donné elles-mêmes les informations nécessaires pour le faire...

  Ce scénario de prospective, qui relèguerait bien loin tous les "rêves" de démocratie, directement tiré de statistiques économiques convergentes, peut-il se dérouler? Autrement dit, quelles sont les conditions de sa réalisation? Avant d'examiner un certains nombre de faits, penchons-nous à la fois sur la fiabilité de ces statistiques-là et sur les réalités des richesses mises en avant.

En effet, l'existence d'une économie parallèle montante pratiquement dans tous les États, à des degrés variables, suivant en cela l'affaiblissement des contrôles, notamment fiscaux, l'interpénétration persistante d'activités légales et illégales, officielles et criminelles, - du fait des accointances entre classes politiques et branches d'activités criminelles liées au trafics de drogue et aux circulations d'armement de toutes sorte - la poursuite de mouvements d'évasion fiscale, les résistances des populations (très pauvres ou très riches) à l'évaluation de leur patrimoine réel... rendent difficiles l'établissement de statistiques fiables. Par ailleurs, la composition des richesses ainsi chiffrées pose question : l'existence d'une forte partie constituée de valeurs financières volatiles (portefeuille d'actions de toutes sortes, des livrets simples d'épargne à des produits uniquement basés sur des dettes publiques ou/et privées, soumises plus ou moins à l'évolution des marchés financiers) fait peser sur cette évaluation des richesses une incertitude sur leur réalité. Il serait plus judicieux de centrer les statistiques des richesses, et donc de leur répartition dans les populations, en fonction des patrimoines immobiliers et des liquidités disponibles, plutôt que sur des valeurs mobilières.

Nonobstant ces deux problèmes, on ne peut que constater l'évolution vers l'aggravation des inégalités économiques, vérifiable de visu par l'état de l'urbanisation, la répartition des populations sur le territoire, le type d'habitation et les habitudes de consommation, l'état des services publics d'éducation et de santé... Mais les incertitudes d'évaluation de ces inégalités mettent en question la possibilité de la masse critique évoquée plus haut. 

  Ce qui ne nous empêche pas de pointer les phénomènes qui peuvent alimenter la formation de celle-ci :

- Les conditions de la poursuite de l'urbanisation laissent dans l'abandon des pans entiers de territoires et des populations trop clairsemées pour qu'on s'y intéresse...

- Les conditions de la poursuite de l'industrialisation sont marquées d'un double mouvement de désindustrialisation de zones entières et de sur-industrialisation d'autres zones, en même temps que de manière générale on a besoin de moins en moins de main-d'oeuvre pour produire des richesses de plus en plus grande de par les progrès de l'automation et de l'informatisation des processus de production, de distribution et d'administration. Le chômage irrésorbable devient une des marques fortes de ce processus, que ce soit le chômage enregistré ou le chômage caché. Les biens de consommation et de production et les services, en surproduction chronique (gaspillages monstrueux avoisinant la moitié de certaines productions, notamment alimentaires...) coexistent avec une aggravation des conditions de vie de plus en plus de populations. Des progrès quantitatifs réels en matière de santé et d'éducation ne devraient pas cacher une détérioration de leurs qualités. Un exemple frappant est constitué de l'éducation des femmes de nombre de pays : la scolarisation et même le niveau professionnel s'accroit bien fortement, mais la qualité des enseignements laissent tellement à désirer que les pays anciennement industrialisés refusent souvent d'en approuver les diplômes...

- Un certain recul de la misère proprement dite dans de larges portions de territoires se traduit plutôt par une uniformisation à la baisse (les très pauvres rejoignent les pauvres, aux-mêmes rejoints par les moins riches) et peut donner l'illusion d'une amélioration globale. Mais l'écart entre ce gain (vers la pauvreté moyenne) et celui de populations minoritaires qui s'enrichissent fortement hors de proportion avec ce gain, mène à une disparité grandissante des niveaux de vie, visible parfois à des distances courtes comme dans certains zones suburbaines.

- Les divers changements climatiques bouleversent bien des économies, et d'abord celles des plus pauvres, accélérant la formation de noyaux d'opulence dans des océans de pauvreté, les populations les plus riches ayant bien plus de moyens de parer aux effets de ces changements.

- La perception même du bien public dans l'ensemble des médias et des intelligentsia favorisent ce mouvement de dispersion sociale : la croyance que l'enrichissement profite, sous forme de "retombées" sur tous, la croyance que la liberté économique sans contrôle est favorable à la croissance, l'assimilation de la liberté à la liberté économique des sociétés, le désaveu envers toute planification socio-économique, le désintérêt général des élites envers la chose publique, cela va dans le sens d'un mansuétude globale par rapport au développement général des inégalités sociales. 

- Le sur-développement des moyens de distraction et de communication ; le primat donné dans les médias à la passion sur la raison, au court terme sur le moyen et long terme, au spectaculaire sur l'évolution lente ; la priorité accordée par tous aux bienfaits matériels immédiats individuels ou familiaux, aux loisirs sur la solidarité sociale, favorisent un climat de repli identitaire où les idées se trouvent de plus en plus en décalage avec la réalité. Plus on célèbre avec de jolis drapeaux et des chants martials la nation, et plus on laisse se développer des intérêts économiques qui n'ont rien à faire de ces illusions. Ce phénomènes n'est pas nouveau mais peut prendre une ampleur planétaire. Il est frappant de constater que dans les programmes de gouvernement des différents partis ou groupes d'extrême droite en Europe, se trouve parallèlement mis en avant les indépendances territoriales (les fameuses identités nationales) et des concepts de gestion sociale et économique ultra-libéraux...

- Le désengagement d'autorités s'exerçant normalement sur de vastes territoires et populations, peut provoquer la prise en charge directe par celles-ci, dans des conditions de violence sociale sans doute plus forte, dans les campagnes, dans les zones périurbaines les plus délaissées, de groupements de personnes et d'associations, qui entendent progressivement se doter de leur propre régime politique, de leur propre système juridique, de leur propre système de valeur. Seuls ces prises en charge leur permettraient d'échapper à une pauvreté croissante, en s'appropriant les connaissances scientifiques et techniques les plus diverses. Mais en même temps, les distances culturelles s'accroitraient entre ces groupes, les pouvoirs centraux les laissant faire (surtout dans un premier temps) du moment qu'ils ne présentent ni d'intérêt ni de danger pour eux...

- De manière concomitante avec ces prise le charge "entre pauvres", des autonomisations "entre riches" peuvent se produire, les mêmes causes produisant les mêmes effets chez les uns et chez les autres. Constitution de villes autonomes protégées des environnements extérieurs, protection des parcours des travailleurs privilégiés, regroupement dans des zones protégées de tous les moyens économiques, énergétiques, sociaux, culturels. Ces zones existent déjà ça et là, dans des conditions diverses : micro-État protégé d'un environnement politique hostile (Israël), communauté rurale gardant leurs traditions (notamment aux États-Unis, mais aussi en Chine...), cités high tech autonomes, notamment centrées sur des universités (Silicon Valley)... 

- La connaissance des réalités est bien plus forte chez certaines puissances économiques que dans certains États : le pouvoir de l'information et de désinformation est à la discrétion de stratégies de pouvoirs, qui pour l'instant ne sont qu'économiques mais qui pourraient bien avoir des ambitions politiques. Même si, d'ailleurs, l'envie de pouvoir politique ne gagne pas ces puissances économiques, celles-ci, de facto pour protéger à la fois leurs richesses et les conditions de celles-ci, pourraient prendre à leur profit des mesures qui sont encore officiellement ceux d'États, mesures policières, militaires, de contrôle social ou de mouvement de populations. A la faveur des migrations croissantes pourraient se former de plus en plus de camps de transit, qui deviendraient, à l'image de ceux réservés longtemps aux Palestiniens, permanents et ouverts à d'autres usages : camp de travail, camp de prisonniers de plus en plus nombreux, camp de réhabilitation sociale pour chômeurs de longue durée... Gouverner par la peur de ces "éléments incontrôlés", avec utilisation subtile de communications à destination du "grand public", pourrait être bientôt le principal moyen de contrôle de populations de moins en moins utiles... Cette connaissance de la réalité socio-économique est parfaitement lacunaire dans la plupart des élites politiques tout juste capables d'élaborer des stratégies internes de conquête du pouvoir institutionnel.

- Même si les puissances économiques (par puissances économiques, englobons non seulement les grandes entreprises mais surtout les grandes propriétés, à l'image du patrimoine immobilier qatari en France...), ne songent ni politiquement ni idéologiquement (idéologie persistante de la démocratie, même si elle n'est pas appliquée) à prendre la voie de la sécession. Elles peuvent tout simplement, par acquisition de terrains, de bâtiments, de services, d'armées, glisser vers l'autonomie. Elles en ont déjà les moyens, il suffit de commencer à franchir le pas...

- Toutes les constructions institutionnelles voient leurs effets ruinés par la montée des inégalités économiques. A la faveur d'une participation (électorale notamment) de plus en plus faibles des populations aux institutions politiques officielles, naissent deux mondes qui ne se rencontrent que lors des crises et des grandes émotions populaires : le monde des politiciens qui s'empêtrent dans les conflits d'influence et le monde des citoyens "ordinaires" qui ignorent les cocktails de rencontres, les matches de golf entre amis, les rencontres de clubs de plus en plus fermés et sécurisés où l'on discute aimablement de partages de marchés et de subventions.

- L'accroissement des mouvements migratoires, concomittentes de l'existence de vastes zones abandonnées à la guerre, au pillage et aux désordres divers, provoque des réflexes de défense de populations complètement ignorantes des événements à leur origine. Mais celles-ci n'ont sans doute encore rien vu. De ces mouvements migratoires, qui parfois touchent les mêmes populations, peuvent naitre de nouveaux nomadismes - erratiques ceux-ci, rien à voir avec les transhumances des bétails - qui à force de prendre de l'ampleur ne seront sans doute pas résorbables si les États ou communautés régionales politiques ne se dotent pas plus de moyens et ne reprennent pas la main sur les puissances économiques transnationales, n'entreprennent pas de profondes réformes quant à leur finance et à leur fiscalité. Le monde féodal n'a t-il pas été toujours caractérisé justement, à côté des villages et des villes qui s'ancrent dans la vie sédentaire, par la circulation incessante de nomades sur maints territoires, sous l'effet des famines, des destructions diverses, des guerres  

Il ne faut pas croire que tout cela puisse se faire seulement dans une violence perpétuelle et crescendo. Au contraire la masse critique opèrera sans doute ses meilleurs effets que sur le long terme et petit à petit, doucement avec le sourire....

   Ces éléments, encore aujourd'hui tempérés par d'autres évolutions (réactions de maintes populations aux désengagements de l'État, activismes de religions, mouvements divers de redistributions), peuvent se précipiter en une masse critique permettant la formation d'une autre société que celle que nous connaissons, des sociétés juxtaposées les unes aux autres, régies par des relations de vassalité et de fidélité plus ou moins grandes.

 

Est-ce suffisamment pessimiste?

 

bcg.com/bcgperspectives.com. 

Sous la direction de Bertrand BADIE et Dominique VIDAL, Un monde d'inégalités. L'état de monde 2016, La Découverte, 2015.

J'ai rajouté une partie au titre pour répondre aux invectives (comme souvent désordonnées et peu réfléchies, mais c'est normal vu la faiblesse (qualitative) de sa formation intellectuelle...) de Monsieur MACRON sur le séparatisme (il vise en fait des parties musulmanes de la société française, pas juives, mais cela on l'a compris, des parties pauvres, mais cela, on l'a aussi compris!...)... La catégorie Essais de ce blog me le permet aisément.

MORDUS

 

Relu le 29 mai 2022

 

 

 

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24 avril 2016 7 24 /04 /avril /2016 08:50

      Le mot tolérance s'avère d'un emploi bien plus large que celui acquis historiquement sur la lancée des guerres de religions européennes. Alors que ce mot, né donc au XVIe siècle, est d'abord réservé à la question religieuse, entre religions, à l'intérieur de la Chrétienté, il s'étend aux relations avec toutes les religions et au XIXe siècle, avec la libre pensée. Émerge alors à côté de la tolérance religieuse, la tolérance civile, la tolérance vis-à-vis d'opinions politiques différentes. 

  Le conflit est de toute façon là, entre tous les êtres humains, mais tout dépend de la manière dont il s'exprime, notamment face aux nécessités de la coopération. Il peut être dissimulé pour de multiples raisons, il peut être nié, même si physiquement il est bien souvent présent sous formes d'injustices. Il peut être nié car ces injustices peuvent être considérées comme... justes, car les individus (croient qu'ils) naissent avec des attributs précis et des fonctions précises, parce que c'est nécessaire ou par qu'il s'agit d'un destin. D'un destin décidé par Dieu souvent, par les dieux parfois, et tant qu'on y est parce que l'âme a transmigré (voyageant dans des véhicules plus ou moins socialement dotés) (hindouisme, bouddhisme), ou réside là par punition ou pour subir des épreuves. Très souvent dans l'histoire, la tolérance (qui va vers l'acceptation, l'adhésion) par rapport à sa condition est liée à des représentations religieuses/spirituelles.

   Mais ce genre de réflexion est peu usité, et dans les temps où les conflits religieux revêtent une acuité puissante, il s'agit surtout de savoir si les relations humaines sont sous le signe de l'intolérance ou de la tolérance religieuses.

    

      Alors la réflexion s'oriente plus vers la question du règlement de ces conflits religieux.

L'intolérance par rapport à des doctrines et des fois différentes se manifeste particulièrement dans les religions monothéistes où la question de l'individu, du salut individuel, revêt une importance de premier plan. Dans un univers mental où l'individu ne peut se dissocier de la communauté dans lequel il vit, la question ne revêt pas la même urgence existentielle. Dans un univers mental où n'existe pas de Dieu personnel, où les dieux sont accolés à des puissances naturelles, où il existe autant de dieux que de possibilités d'intercéder auprès d'eux pour acquérir au quotidien le plus de fortune ou le moins d'infortune possibles, dans l'univers de ce qu'on a appelé, par opposition aux religions monothéistes, les religions polythéistes, en oubliant parfois des religions/spiritualités où n'existent au maximum que des esprits voisinant avec les humains, la question de la tolérance ou de l'intolérance n'apparait même pas...

A partir du moment où se pose la question de l'existence de Dieu comme personne et souvent comme créateur, où un peuple se dit celui de ce Dieu, étant par essence précisément le peuple élu, il ne peut y avoir place pour plusieurs croyances en même temps et dans un même lieu. Et alors se pose la question de la relation jalouse entre ce Dieu créateur et maitre de toutes choses et de sa créature. Plus ou moins libre, plus ou moins difficile, cette relation est toujours interprétée, puis cette interprétation est figée dans des textes sacrés (on discute alors d'alliances...). Et ce qui est adoré, prié, honoré est le Dieu d'une classe religieuse, quel que soit son nom, qui possède dans la société un rôle dominant, déterminant, concentrant à la fois le savoir et le pouvoir spirituels, lesquels ne peuvent que s'appuyer sur des puissances "temporelles", elles-même bénies et honorées.

Tant que l'on reste entre hommes d'un même Dieu, la question de l'intolérance et de la tolérance ne se posent toujours pas, sauf pour quelques exceptions très liées d'ailleurs à la notion de tabous, d'actes défendus. Mais très rares - on n'en connait pas! - sont les peuples qui ne côtoient pas d'autres aux croyances religieuses autres. Que ce soit les Hébreux au contact des Égyptiens et autres peuples non élus, que ce soit les sectaires de tout bord qui pensent posséder seuls la Vérité, apparaissent clairement les limites respectives de la tolérance et de l'intolérance. Les peuples environnant Israël, on doit penser par là parce qu'il n'y a guère d'autres possibilités historiquement, ont vite appris le caractère "spécial" de la relation de ce peuple et de ce Dieu. L'intolérance par rapport aux croyances religieuses de peuples qui très souvent l'asservissent, asservissement qui conforte d'ailleurs sa croyance en un destin exceptionnel, se manifestent physiquement par des désobéissances plus ou moins étendues envers les lois des maitres égyptiens, lesquels d'ailleurs manifestent une indifférence moqueuse par rapport à ces croyances d'un Dieu unique personnel accolé à tout un peuple tout aussi unique.

On retrouve souvent ensuite ce schéma dans les relations entre peuples vainqueurs et peuples soumis à identité religieuse forte (N'oublions pas que "normalement" dans l'Antiquité, la souplesse des croyances permet au peuple vaincu d'adopter les dieux des vainqueurs, vu que manifestement ils sont les plus forts!).

Les persécutions contre les Chrétiens sous l'Empire romain sont le fait beaucoup plus des jalousies/concurrences entre Juifs et Chrétiens, des recherches permanentes de boucs émissaires face aux malheurs, de désobéissances aussi à l'autorité civile, que d'une volonté de détruire l'idée d'un Dieu personnel, que les Romains païens ne comprennent tout simplement pas... Les persécutions à l'intérieur de l'Empire devenu chrétien touchent tous ceux qui n'adhèrent pas à la nouvelle spiritualité, et elle est, semble-t-il, beaucoup plus féroce et systématique que les persécutions inverses précédentes, car s'appuyant de plus en plus solidement sur des textes, des exégèses savantes, et sur une organisation spirituelle matériellement bien soutenue par des armées bénies. Sans entrer dans le détail de l'histoire qui inclu aussi bien d'autres aspects qui interfèrent entre eux, l'intolérance aux croyances hérétiques, divergentes à l'intérieur de la Chrétienté a pu s'exprimer de manière souvent sanglante, avant qu'une grande contestation puisse s'y manifester, moins facile celle-là à oblitérer.

     On remarque un enchevêtrement de rivalités princières, dynastiques, de contestation sur le caractère vénal des charges ecclésiastiques, de considérations bien matérielles sur des impuissances de puissances spirituelles sur les malheurs du monde (pensons à la Grande Peste par exemple, mais aussi aux mauvaises récoltes...), de découvertes scientifiques qui vont tout simplement à l'encontre des Ecritures telles qu'elles sont alors interprétées, pour donner un cocktail d'intolérances réciproques. Lesquelles donnent aux conflits une coloration sanglante, car sont liées des enjeux spirituels et des enjeux matériels de puissance bien temporelle... 

     Pourquoi des croyances différentes en ce qui concerne le salut personnel et collectif provoquent de telles manifestations d'intolérance? Sans doute faut-il chercher du côté de la psychologie du croyant en un Dieu personnel. Comme la croyance ne repose que sur la foi, celle-ci n'étant supportée que par des habitudes de pensées (sur le corps notamment) et par des interprétations précises de textes sacrés, comme il n'existe pas de possibilités de preuves visibles de l'existence de Dieu, ni même d'un monde en dehors de l'existence terrestre, toute contestation de cette foi la fragilise, la questionne, la rend particulièrement angoissée.

L'opposition à cette foi d'une autre foi qui "prétend" en plus reposer sur les mêmes textes sacrés, provoque psychologiquement quelque chose d'assez intolérable, justement... Plus que de se coltiner un conflit interne, intellectuellement et psychologiquement parlant, il est tout de même moins fatiguant et plus sûr de se débarrasser de toute cette contestation, d'autant plus que celle-ci a des conséquences matérielles immédiates sur les situations sociales... 

    Pour faire face aux conséquences de cette intolérance, un cortège sans fin de massacres, de guerres et de persécutions, tous événements où personne ne semble emporter la décision, beaucoup d'intellectuels, dans tous les camps, proposent et parfois tentent d'imposer - par monarques interposés - un régime de tolérance. On ne remet pas en cause la possibilité d'autres interprétations des textes sacrés ou d'autres façon de pratiquer en direction du même Dieu, si à la fois n'est pas mise en cause la possibilité de pratiquer sa foi comme avant, et... certains dirons surtout, dans l'immédiat,... si les équilibres socio-économiques ne sont pas directement menacés... Ce sont les conséquences des conflits religieux, qui existent de toute façon, dans une Europe où les forces matérielles ne peuvent l'emporter l'un sur l'autre de manière définitive, qui provoquent l'apparition de régimes politiques tolérants envers des religieux différentes (avec plus ou moins d'écarts) même si elles se ref!rent au même Dieu.

On ne voit pas dans l'histoire de l'Islam d'événements semblables, car chaque région adopte dans les terres musulmanes des régimes d'intolérance (qui se manifestent matériellement à plusieurs niveaux, notamment fiscaux) où, dans chacune de ces régions, il n'est pas possible de contester ouvertement les Vérités. Shiisme et sunnisme établissent de véritables frontières géopolitiques qui s'accentuent avec le temps, tandis qu'en Europe, ces frontières vont s'y estomper, même si des guerres de religions vont encore exister, de manière plus ou moins claire (entendons par exemple les conflits religieux d'Irlande du Nord par exemple). 

  Toutefois, même en Europe, il ne s'agit que d'une tendance, qui à chaque période historique, se confirme ou s'infirme. L'Espagne et la France catholiques vont longtemps s'opposer aux Provinces Unies et Royaumes Allemands protestants... L'intolérance et la tolérance, souvent imposées d'en haut, des autorités centrales politiques ou religieuses, se partagent villes, villages, régions, pays, Etats...

    Le combat restera si vif que de nombreux fauteurs de troubles religieux sont envoyés ailleurs, dans les colonies, pour exercer leur sectarisme dans des régions "sauvages", car il n'est pas l'apanage de pouvoirs centraux, de moins en moins en tout cas, mais de multiples communautés plus ou moins tolérantes entre elles et intolérante (la relation est parfois très réciproque et dynamique) avec le pouvoir central. Ce ne serait rien si cela se réduisait à des batailles intellectuelles qui peuvent très bien faire rage pour faire avancer les idées (mêmes scientifiques!) dans les Universités et autres écoles de savoir... mais souvent cela débouche sur des insurrections, des émeutes, des pillages et des viols, qui n'ont d'ailleurs, de plus en plus, de religieux que le prétexte. La volonté de pouvoirs centraux de différencier les impôts non seulement suivant la classe mais aussi la religion fait le reste...

  Mais avec le développement des découvertes scientifiques, de plus en plus détachées d'explications religieuses, le développement du niveau d'instruction de différentes classes sociales, ayant dès lors accès directement aux textes sans passer par l'intermédiaire des différentes classes religieuses, le développement de l'esprit individuel, la prise de conscience que l'on peut vivre de plus en plus longtemps et de mieux en mieux sans devoir faire des incantations religieuses ou suivre des rites religieux, le spectacle aussi de ces combats meurtriers au nom de la foi, tout cela fait déplacer de plus en plus le sens du mot tolérance.

    Il ne s'agit plus seulement de tolérer des idées religieuses différentes, lesquelles d'ailleurs intéressent de moins en moins de monde, mais aussi des idées politiques, sur l'organisation de la société, chose qui sous le siècle des Lumières apparait souvent en conjonction avec la tolérance envers l'irréligion, l'indifférence religieuse, l'agnosticisme et l'athéisme.

  Au début du XXe siècle apparait alors, ce qui est accéléré avec le contact de spiritualité non chrétienne et non musulmane, un autre déplacement de l'idée de tolérance, orientée cette fois à l'inverse vers la religion en tant que tel. Il s'agit de respecter la foi, quel que soient les ressorts - indifférence, simple curiosité intellectuelle, attitude morale - de ce respect.

    Plus encore, les esprits qui séparent de plus en plus "choses matérielles" et "choses individuelles", ces dernières étant de plus en plus cantonnées comme "croyances individuelles", on a du mal à concevoir des conflits religieux sanglants. Ce contre quoi s'élève pratiquement toute l'élite intellectuelle contemporaine, comme d'ailleurs l'ensemble des populations, ce sont les violences religieuses. La manifestation d'irrespect, même si elle n'atteint pas la dernière intensité, envers la croyance de quelqu'un est de plus en plus marquée d'un opprobre qui n'est pas seulement intellectuel, mais aussi moral. Le point d'appui de toute réflexion sur la religion n'est plus un texte sacré mais la mise entre parenthèse de la foi, censée brouiller les esprits. Cette position est plus ou moins appuyée sur une conception exempte de religion, la laïcité à la française, avec la séparation nette, institutionnalisée entre religion et affaires publiques. Mais cette laïcité n'est qu'un bout d'un continuum d'attitudes plus ou moins encore connotées par des représentation spirituelles plus ou moins sous-jacentes. La laïcité ou la séparation de pouvoirs spirituels et de pouvoirs temporels, conquise de haute lutte, dans beaucoup de pays, appelle à une vigilance continue, plus ou moins bienveillance, à l'égard des différentes religions. Sur les réflexions religieuses elles-mêmes mais surtout leurs éventuelles manifestations tout à fait matérielles comme préférences confessionnelles, constructions d'édifices de cultes, circuits alimentaires spécifiques, formes d'habillement distinctives. Les différents pouvoirs politiques veillent, même en dehors de l'Occident, à ne pas attiser les conflits religieux, à ce qu'ils ne débordent pas le domaine du culte discret, et surtout à ce qu'ils ne se transforment pas en forces armées (mais là, beaucoup d'échecs), pouvant appuyer de multiples revendications confessionnelles...

  Les domaines de tolérance et d'intolérance civiles varient suivant les contrées (beaucoup parfois) mais il s'agit en général d'abord des initiatives du pouvoir civil. Ce modèle occidental n'est pas forcément suivi partout, même si institutionnellement il s'est imposé, et se retrouve dans les conventions et organisations internationales. Il est même mis en péril par maints conflits religieux à connotation politique et conflits politiques à connotation religieuse. La tolérance elle-même est souvent un combat.

  En fin de compte, il n'existe pas de tolérance absolue, notamment parce que la tolérance suppose une réciprocité que beaucoup de communautés refusent. De tolérer précisément certaines croyances et certains rites, et même certains comportements (notamment sexuel, alimentaire et vestimentaire). La différence culturelle d'appréciation des rôles masculins et féminins, de considération du corps recouvre parfois entièrement la différence de croyances spitituelles et là, il est difficile de voir s'instaurer un régime de tolérance. A un moment ou à n autre, des comportements s'avèrent insupportables de part et d'autre. Pourtant, l'occidentalisation, jusque dans les domaines vestimentaires (pour les hommes surtout au début...) et les habitudes d'utiliser des technologies issues de l'Occident, grignote petit à petit la légitimité de beaucoup de comportements injustes, discriminatoires ancestraux. On tente alors de dissocier acculturation technologique et habitus. Beaucoup de civilisations s'y sont essayés, ont échoué, ce qui conduit d'ailleurs nombre de communautés à s'enfermer davantage et à développer encore plus fermement, jusqu'à la violence, leur intolérance. 

    On a discuté de l'intolérance et de l'intolérance religieuses, mais l'intolérance et l'intolérance politiques est tout aussi importante. D'ailleurs, si l'on regarde l'évolution à long terme des sociétés occidentales, même en n'oubliant pas des accidents catastrophiques et sanglants, on constate une évolution vers à la fois un libéralisme religieux et un libéralisme politique. Mais ce libéralisme se frotte souvent avec le capitalisme le plus sauvage et les résultats en sont une remise en cause de cette évolution. Témoins ce qui s'est passé à l'Est de l'Europe au XXe siècle avec des séquelles interminables sur le plan des institutions politiques (Russie). Les pouvoirs religieux et les pouvoirs politiques ont causé tellement d'injustices, souvent justifiées doctrinairement, que les uns et les autres ont été condamnés au profit d'intolérances inversées. Les religieux et les "dissidents" ont été persécutés et beaucoup massacrés dans d'horribles conditions. Ce qui n'est pas un argument pour retomber dans les mêmes travers : redonner trop de pouvoirs au domaine religieux, en échange de son soutien à un système politique injuste. 

     Le régime de tolérance religieuse et d'impartialité politique des États est le fruit et l'objet d'un combat permanent. En aucun cas, nous devons penser qu'il est acquis une fois pour toute. Le souvenir d'atrocités datant de guerres de religions n'est pas suffisant pour éviter de retomber en régime d'intolérance. Il faut encore que les situations matérielles évoluent s'améliorent pour tous, sinon la recherche de leaders providentiels ou de miracles spirituels reprend de façon massive, et le cycle d'intolérance reprend de plus belle.

 

SOCIUS

Relu le 8 avril 2022

 

 

 

 

 

 

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2 décembre 2009 3 02 /12 /décembre /2009 13:32
      Des questions sur le pouvoir des Etats....
                 
       Les récentes conférences inter-gouvernementales sur le changement climatique, sous les projecteurs des médias, ne manquent pas de provoquer un certain malaise pour qui suit de près les vraies évolutions des pouvoirs politiques et économiques de la planète. Alors que les marchés sont censés s'auto-réguler pour la bonne santé de l'économie, alors sur les gouvernements eux-mêmes abandonnent de nombreuses prérogatives économiques au nom des bienfaits supposés être apportés par la libre concurrence des biens et des personnes, il est curieux de voir ces mêmes gouvernements se faire proclamer sauveurs de la planète. Les contraintes économiques nécessaires à la réalisation des programmes de survie de l'humanité face aux désastres annoncés seront-elles acceptées - puisqu'elles n'ont pas beaucoup de chances d'être imposées - par ces vastes ensembles économiques privés qui ont déjà refusé aux États de véritables changements dans la gestion financière, notamment depuis la crise de 2008.

       Cette actualité constitue une occasion de penser à nouveau l'effectivité des États, leur réel pouvoir de peser sur les événements, au-delà des définitions juridiques de l'Etat aujourd'hui diffusées de façon universelle par  des organisations internationales comme les Nations Unies.

       La réalité du pouvoir d'État...
            Un État se caractérise par son pouvoir réel sur un territoire et une population. Il est représenté pratiquement par ses agents directs et existe seulement et seulement si les différents citoyens qui agissent à l'intérieur de ses frontières le reconnaissent comme tel.
Un véritable État n'est pas une sorte d'agent ou d'acteur social à grande échelle qui exerce une influence sur le comportement de tous les autres acteurs, qu'ils soient économiques, sociaux, politiques ou religieux. Il est véritablement le décideur en dernier ressort de ce qui se passe sur un territoire donné. C'est le principe même de la souveraineté. Peu importe que cet État soit démocratique ou totalitaire. Ce qui importe, c'est que son autorité soit sans contestations sur son territoire. Peu importe que ses actions soient le résultat de concertations et de délibérations entre les acteurs qui agissent en tant que membres d'une nation ou pas. ce qui importe, c'est que ses actions soient reconnues légitimes de bout en bout. Non bien entendu que le caractère démocratique d'un pouvoir d'État ne nous intéresse pas de manière générale, mais ici, ce n'est pas le sujet traité.
Concrètement, il est constitué d'administrations reconnues pour leur compétence dans tous les domaines, qui se considèrent comme ses rouages. De plus, dans la conscience de la population, il existe en tant que tel, garant de leur liberté et de leur sécurité, quel que soient la définition et le contenu réel qu'elle leur donne.
     L'État est à la fois le produit de leur représentation du pouvoir et la somme de l'action de toutes ses administrations. Que la représentation collective n'accorde plus comme auparavant ce crédit, que ses administrations n'exercent plus leur activité sur l'ensemble de la population et sur l'ensemble du territoire, et l'État n'existe plus que comme le fantôme de lui-même.

       Les domaines de l'effectivité de l'État
                Ce qui précède nous mène directement à la notion d'effectivité de l'État. Un État existe réellement, au-delà de toute considération sur sa reconnaissance à l'extérieur dans le concert des États dans le monde, que s'il est en mesure d'exercer tous ses pouvoirs. Cela pourrait passer pour une lapalissade, mais lorsqu'on y regarde de plus près, on constate de nombreuses défaillances de l'autorité de l'État tout au long de son histoire, et ces défaillances peuvent être de plusieurs ordres : 
-  fiscal, lorsque les administrations chargées de récolter auprès de la population ses ressources agissent pour leur propre compte ;
- judiciaire, lorsque les décisions de justice ne sont plus prises à partir d'un corpus de lois et de coutumes décidées par les instances légitimes ;
- exécutif, lorsque ses décisions sont mal ou plus appliquées ;
- législatif, lorsque ses instances qui décident des lois le font en dehors des considérations fondatrices de cet État, ou que les lois ne sont plus suivies des décrets d'application qui les rendent effectives ;
    
      Mais le moment et l'endroit décisifs où cette effectivité se révèle défaillante ou nulle, c'est lorsque le monopole de la violence lui échappe, partiellement - lorsque des éléments de sa population lèvent les armes contre lui, en tant qu'État , ou contre d'autres éléments de cette même population - ou totalement, lorsque la violence s'exerce sans considération de son existence. Car ce qui décide en dernier ressort de son autorité, c'est bien l'usage en dernier recours et de façon décisive de la violence, que ce soit pour recouvrir les impôts, pour faire droit aux décisions de ses tribunaux, pour réaliser les effets de ses lois et règlements ou pour faire valoir sa suprématie et sa seule autorité dans l'élaboration de ces lois et règlements.
     C'est pourquoi l'effectivité d'un État est toujours menacée lorsque la délégation administrative de son pouvoir fiscal, judiciaire, exécutif ou législatif est confiée à des groupes d'acteurs dont la fidélité aux fondements de l'État est défaillante. Ou lorsque les intérêts propres de ces groupes prennent le pas sur l'intérêt de l'État.
Si l'État est autoritaire et monarchique, tout autre intérêt servi autre que celui du roi menace son effectivité. Si l'État est autoritaire et despotique, tout intérêt servi que celui du groupe faisant office de chef nuit à son effectivité. Si l'Etat est démocratique et d'un régime représentatif de la population, tout autre intérêt servi - celui d'une seule partie de la population, nuit à son effectivité.
 
     Cette effectivité est menacée également lorsque l'État délègue une partie de ses prérogatives de sécurité à des groupes de population dont les intérêts sont plus de défendre leurs intérêts propres que celui de l'État.
     On voit bien que l'effectivité de l'État n'est jamais totalement garantie dans les aléas de l'histoire. Et qu'il existe en fait une graduation dans cette effectivité. Entre le contrôle absolu de l'État, quels qu'en soient les moyens, matériels ou/et symboliques et la déliquescence de l'État à son dernier degré, il existe toute une série de situations intermédiaires, qui s'installent doucement, presque sans qu'on s'en rende compte, analysable souvent seulement après une certaine période.
   Mais la continuité de l'État reste assurée toutefois, lorsque certaines conditions sont réunies, quel que soit le degré de cette effectivité. Elle ne l'est plus lorsque, de façon définitive, l'État a perdu de façon irrémédiable tous ses pouvoirs, même lorsque symboliquement des populations ou des groupes s'y réfèrent, un peu comme les véritables pouvoirs féodaux de tout le Moyen-Age qui se réfèrent au Saint Empire Romain Germanique...
     Il est particulièrement difficile, en l'état des connaissances sociologiques actuelles, de déterminer si un État est définitivement perdu. Mais une étude, même partielle, de l'activité de ses administrations, de l'activité des acteurs sur son territoire permet de déterminer, en revanche, à coup sûr, si un État a perdu de son effectivité. Et lorsque, de façon visible, l'État se retrouve dans la situation de n'importe quel acteur sur ce qui est normalement son territoire, d'agir avec des moyens de coercition sociale (et non avec tous ses moyens), on perçoit qu'il n'est plus effectif. il faut bien voir qu'un acteur peut être en mesure de collecter des impôts ou d'effectuer un certain racket sur la population (en argent et en hommes), d'édicter des lois dans une région donnée, d'agir pour rendre effectives certaines de ses décisions, sans être un État.
       
              Empires et États, État contre Empire....
                    Et si ses agents assurent la continuité de certaines activités dans le temps, on peut avoir affaire à un Empire plus qu'à un État. Un Empire peut garantir la sécurité et la liberté dans certains territoires. Et si ses agents parviennent à faire reconnaître et connaître son autorité même partielle, d'Empereur, de prince, de roi, de dieu, de prophète un certain temps, il peut s'agir d'un Empire assuré d'une certaine pérennité. Mais il ne s'agit pas d'un État. Un Empire "de la drogue" peut s'établir dans certaines contrées, il n'aura pas les caractéristiques d'un État. Ses bénéficiaires pourront encaisser le produit de leur trafic sur un certain territoire sans pouvoir se faire connaître et reconnaître de façon définitive comme le maitre des lieux. Par essence, dans un Empire, plusieurs forces armées concurrentes peuvent exister et se combattre ; ce qui caractérise l'État, c'est véritablement le monopole de la violence. Par ce monopole, il garantit à une population sur un territoire, un certain ordre, une certaine stabilité, même s'il s'agit d'un ordre injuste, d'une stabilité qui écrase une partie de la population. Ce que l'on veut ici bien indiquer c'est le possible glissement d'empires fondés sur des moyens illégaux en droit, qui peu à peu, peuvent prendre la place des États, et devenir également par la suite, des États. On a une certaine vision d'un Empire en calquant les prérogatives de ce que nous connaissons comme État moderne sur de vastes territoires et sur d'immenses populations, or le contrôle social n'agit que par imperfections progressives. L'histoire offre de multiples exemples d'États qui créent des Empires, lesquels ne possèdent pas la possibilité de contrôler autant les populations que sur leur territoire d'origine. Il existe un mouvement de va et vient entre les formes étatiques et impériales de pouvoir. Ce que l'on a écrit auparavant sur les "Empires de la drogue" peuvent très bien s'instaurer sous forme d'Empires économiques qui, au départ, se veulent concurrents des États - en omettant par exemple de le payer en impôt - tout en leur demandant de protéger leurs activités.

         Pour une analyse non convenue du pouvoir des États...
                C'est pour promouvoir une analyse des États au début du XXIe siècle que tout ce qui précède est écrit, et pour rien d'autre. Une invitation à établir une typologie d'État suivant leur effectivité. La prolifération d'instances de pouvoirs économiques, politiques, financiers, militaires sur la planète, qui ne dépendent pas directement d'États devrait nous inciter à ne pas considérer la forme étatique comme allant de soi. L'existence de vastes territoires où des mercenaires règlent les questions de vie ou de mort, plus ou moins commanditées par des États, mais ne rendant compte de leurs activités que de manière élastique, le développement de fraudes fiscales massives s'appuyant sur l'existence d'États, parfois minuscules, faisant office de paradis fiscaux mais surtout de protecteurs exclusifs, l'augmentation de zones franches dans de nombreux pays, y compris ceux qui jouissent comme la Chine, de croissance économique accélérée, mais aussi à l'intérieur des États occidentaux comme la France qui autorise l'installation d'entreprises affranchies des règles communes dans ses quartiers dits en difficulté, la privatisation de pans énormes d'activités autrefois assurées, régulées ou contrôlées par les États, tout cela doit inciter à réfléchir sur l'évolution de l'effectivité des États, et des conséquences de tout ordre de cette évolution, dont le développement des pollutions et des bouleversements climatiques n'en sont qu'une partie.
               L'enjeu de cette analyse est tout simplement la possibilité au non des citoyens de vivre dans un environnement stable, au niveau politique, économique, juridique. C'est aussi de savoir si l'on ne se dirige vers une sorte de guerres civiles larvées ou ouvertes entre groupes et entre individus, guerres désignées alors pour la convenance des médias et des pouvoirs en place comme des crises plus ou moins graves... En d'autre temps, l'analyse marxiste pointait bien cette sorte de luttes généralisées, qui peuvent débouchés sur des guerres civiles, mais cette fois  il ne s'agirait pas seulement de guerres entre agents économiques, mais entre toutes sortes de pouvoirs privés ou publics, avec emploi non seulement de l'arme monétaire mais d'armes tout court... dans une évolution de re-féodalisation du monde.

                 
GIL
 
Revu le 20 septembre 2019
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6 juin 2008 5 06 /06 /juin /2008 13:40
       Les hommes sont individuellement et collectivement jetés sur les routes de l'histoire, au milieu de conflits qui existaient bien avant eux et qui existeront longtemps après eux.
      Dans l'antiquité comme dans le temps que les contemporains appellent modernes, en espérant toujours un renouveau de la vie de l'humanité, les trois questions raciale, nationale et sociale se sont trouvées inextricablement liées dans la vie quotidienne comme dans les grandes occasions historiques.
Et dans l'esprit de ces hommes et de ces femmes, des conflits réels se sont trouvés occultés par des conflits imaginaires, autant de thèmes de fixation de l'émotion collective. Que l'on songe aux contes de l'Antiquité où les hommes doivent se concilier constamment des puissances surnaturelles au point d'y consacrer beaucoup de temps et beaucoup d'espace, que l'on songe aussi aux religions "modernes" qui accaparent également encore l'esprit de millions d'êtres humains. Se concilier les forces d'en haut pour qu'elles n'entrent pas en conflit avec les hommes, s'en faire des alliés dans les actions de tous les jours comme sur les champs de bataille, a polarisé l'attention d'une multitude de fidèles de tout bord. Déclarer l'alliance avec un dieu, c'est déclarer la guerre à d'autres dieux, et cela prend de l'énergie, du temps et de l'intelligence... Déclarer la guerre à Satan, c'est aussi déclarer la guerre à ses serviteurs sur Terre, et on connaît l'ampleur des luttes religieuses, qui ne sont pas encore terminées de nos jours. Les pensées et les actions sont tellement prises par ces conflits imaginaires transformés par l'épée et la bombe en conflits réels, que les hommes en oublient les véritables différends qui agissent en profondeur.
       Etablir une Eglise, une Communauté sur la base de prophéties et de croyances au surnaturel, d'espoirs de vie dans l'au-delà, cimenter la vie des hommes qui vivent les uns à côté des autres, les prochains comme disent certains, pour qu'ils ne tombent pas dans la violence de leurs divisions, de leurs véritables conflits est sans doute la facette positive d'institutions spirituelles qui par ailleurs font perdurer les injustices et les privilèges économiques et politiques. L'illusion religieuse - fondée sur ce que les hommes ne connaissent pas et craignent - permet de faire perdurer des situations en ne posant pas les questions sexuelle et sociale.
     La division de l'humanité en deux parties, la division du monde en inférieurs et en supérieurs ont été toujours justifiées par l'invocation des puissances d'en haut avant d'être jugées naturelles. Encore aujourd'hui, la femme demeure la seconde dans maintes parties du monde et les systèmes de castes régentent toujours d'immenses territoires.
        
         La croissance de la population, sa densification, a transformé les tribus rachitiques d'autrefois en ensembles très grands, posant des problèmes d'identité de plus en plus larges, que les royautés - même de droit divin - ne pouvaient résoudre.
Des nations forment aujourd'hui des ensembles identitaires par excellence, la religion, battue en brèche par l'esprit scientifique ne pouvant plus assumer le poids de service de l'unité et de la coopération entre gens nés dans ces ensembles trop vastes. La question nationale a donc occupé les esprits, pour ne pas s'occuper de la question sexuelle et de la question sociale, dont les solutions risquaient de mettre en cause tout l'édifice social et mental.
   Mais comme l'extension des découvertes des peuples conquérants les font occuper les espaces habités par d'autres peuples jusque là éloignés, ils découvrent ces peuples aux caractéristiques apparentes différentes, et ils y trouvent d'ailleurs des moyens de s'enrichir davantage que par leur propre travail, par leur mise en esclavage ou mise en tutelle. L'esclavage existait déjà mais de façon "artisanale" et limitée.
Ces contacts mettent au jour la question raciale, qu'habillent les possédants et les puissants, entre leurs peuples et ces peuples qu'ils exploitent largement. Cette question finit par occuper d'autant plus l'esprit que les contacts entre populations différentes se font plus fréquents et plus rapprochés. La question raciale peut prendre le relais de la question nationale et de la religion pour, encore une fois, mettre de côté les questions sexuelle et sociale. Quoi de plus "naturel" de se sentir plus proche entre gens de couleur semblable, même s'ils s'exploitent dans la réalité entre eux, et de dresser des barrières entre des gens de couleur différente.

        L'existence des questions nationale et raciale constitue un vrai pain béni pour les individus et classes sociales qui bénéficient des positions sociales dominantes (riches souvent), en ce sens qu'au lieu de se poser la question de l'amélioration de leurs conditions économiques, les individus et les classes sociales dominés (pauvres souvent), restent polarisés par les menaces orchestrées et mises en scène, des autres nations et des autres races. Non que les questions  nationale et raciale n'existent pas, mais parce que les termes de ces deux questions sont dans l'esprit de presque tous fondés sur des aspects imaginaires.
    L'imbrication des réalités (exploitation des Noirs - et des Indiens - par les Blancs, exploitation des petites nations par les grandes...) et des illusions (souillure fondamentale de la noirceur de la peau, différences fondamentales entre Français et Allemands...) rendent les conflits sociaux et nationaux d'autant plus intenses que les questions sont mal posées. Il n'est que de voir la question raciale aux Etats-Unis où la guerre de Sécession a tranché une question mal posée de l'esclavage (Et aujourd'hui d'ailleurs l'accession possible d'un Noir à la présidence risque de faire croire que l'on résout la question raciale et de faire oublier une fois de plus la question sociale). Deux guerres mondiales en Europe n'ont pas suffit apparemment pour que les questions nationales illusoires (battues en brêche par les réalités économiques)  soient réglées, car l'on n'a pas réglé précisément les questions sociales, ne serait-ce que l'écart croissant entre niveaux de vie des riches et des pauvres. Car ceux qui font l'opinion continuent de raisonner et de faire raisonner comme si les plombiers polonais menacent les plombiers français alors que les agissements bancaires français les menacent bien plus.

       En réalité, c'est lorsqu'on commence à s'attaquer à la solution des questions sexuelle et sociale que l'on commence enfin à changer le cours de l'humanité. L'émancipation des femmes a des répercussions sur le statut des femmes noires par rapport aux femmes blanches et l'organisation des forces ouvrières à l'échelon européen met en cause les distinctions nationales sur le continent. La solution des questions sociale en particulier font découvrir la véritable nature des questions raciale et nationale, qui deviennent d'anciennes illusions, tout comme les solutions nationales avaient détruits les illusions religieuses.
      La mise en avant des réalités, la mise en veilleuse des terreurs ancestrales provoquent, de proche en proche, l'ébranlement de tous les édifices sociaux fondés sur les inégalités de sexe, de "race" et de "nationalité".

                                                                                                                            GIL
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