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27 novembre 2008 4 27 /11 /novembre /2008 11:01

      Spécialiste du monde antique grec et romain, professeur au Collège de France, Paul VEYNE livre une étude dense sur la place du don et du mécénat dans la vie de l'époque hellénistique et romaine, durant environ 6 siècles (de - 300 av.JC à 300 ap.JC).

    L'évergétisme, cette prodigalité des notables riches dans le monde antique, obligatoire ou non, occupe une place importante dans les relations entre humbles et puissants, entre citoyens et groupes dirigeants. Il se prolonge dans le christianisme par la charité - obligatoire ou non - et aujourd'hui encore par le biais de certaines organismes caritatifs, notamment dans la société américaine (rôle des fondations). Tout en jetant des lueurs sur les pratiques contemporaines, l'auteur se concentre sur ces 6 siècles et montre comment ces dépenses somptuaires, qui se manifestent souvent par des distributions massives de vivres et des jeux gigantesques, s'insère dans la vie politique et économique des Cités. Comment elles participent des jeux de pouvoir et de prestige, comment elles constituent un élément d'exercice de la souveraineté impériale, sans négliger les aspects religieux de la question.

    Paul VEYNE, historien français spécialiste de la Rome antique, détaille les différences et les analogies des évergétismes grec et romain et leur rôle dans l'évolution des sphères publiques et privées comme dans les mentalités politiques.

 

         Pour donner une idée du ton général de l'ouvrage, par ailleurs très érudit au niveau juridique et économique - les notes occupent un bon quart du livre - on peut lire des extraits du résumé par l'auteur de son dernier chapitre, qui porte sur "l'empereur et sa capitale".

  "Le pain et le cirque, l'évergétisme, étaient donc de la politique à trois titres différents et inégaux, qui correspondent aux trois enjeux dont parle un proverbe de sociologue : l'argent, le pouvoir et le prestige.

Le premier titre (...) est la reproduction, c'est-à-dire un à-peu-près entre la justice et le statut quo, entre les deux buts de la politique. (...) en ces temps lointains où l'économie n'était pas encore une profession, la classe politique ne considérait ses avantages économiques que comme les moyens de ses supériorités politiques et sociales. (...)  FRONTON (écrit) : "On tient le peuple romain par deux choses : son pain (annona) et les spectacles ; on lui fait accepter l'autorité (imperium) par des futilités autant que par des choses sérieuses. Il n'y a plus de danger à négliger ce qui est sérieux, plus d'impopularité à négliger ce qui est futile. Les distributions d'argent, les "congiaires", sont moins âprement réclamées que des spectacles ; car les congiaires n'apaisent qu'individuellement et nominativement (singillatim et nominatim) les phébéiens en quête de pain, tandis que les spectacles plaisent au peuple collectivement (universum)".

 Le second titre était que l'appareil d'Etat se sentait ou se croyait menacé par certains intérêts des gouvernés, qui voulaient des plaisirs et du pain. (...).

  Enfin, à cette époque où il n'existait guère de milieu entre la démocratie directe et l'autorité par droit subjectif, la possession du pouvoir avait des effets irréels. Les gouvernants devaient faire symboliquement la preuve qu'ils restaient au service des gouvernés, car le pouvoir ne peut être ni un job, ni une profession, ni une propriété comme les autres.(...)."

 

   Mona OZOUF commente pour l'éditeur, en quatrième de couverture : "Cette folie, qui lançait les riches dans une surenchère de dons à la collectivité (chacun voulant se montrer plus magnifique que le voisin), porte un nom savant - l'évergétisme - et vient de trouver son historien. Paul Veyne a quelque chose de la prodigalité de ses héros, les évergètes. Il déverse sur ses lecteurs médusés les trésors de son information, les souvenirs de ses campagnes à travers l'érudition germanique de la sociologie anglo-saxonne, dépense en quelques pages la matière de vingt thèses et mobilise toutes les ressources d'un esprit follement ingénieux pour comprendre et faire comprendre ce que ces cadeaux en cascade étaient chargés d'entretenir."

   André REIX, dans la Revue Philosophique de Louvain, 1978, n°29, fait remarquer que "le mot évergétisme est un néologisme de formation très récente : c'est le fait de faire des bienfaits en général. Le concept a précédé l'étude historique. Reste à en expliquer les raisons. L'intérêt philosophique du présent livre vient justement de l'ambiguïté de sa méthode. L'auteur définit sa recherche comme une oeuvre de sociologie historique, en insistant sur la prédominance de l'histoire dont tous les faits importent pour une description de pure curiosité. Il déclare en outre s'en tenir à l'époque romaine, alors que sa vaste documentation le pousse à de continuelles incursions dans toutes les époques et dans tous les domaines, ce qui est assurément un bien, mais dévie son premier objectif pour en faire une recherche de sociologie politique, chargent le mot sociologie du même sens que chez Max Weber, c'est-à-dire "synonyme commode de sciences humaines ou de science politique", la différence entre sociologie et histoire étant purement formelle." 

   Eric MAIGRET, écrit à propos de la nouvelle édition de 1995, dans une collection de poche très diffusée, que "ce texte est un jalon dans l'histoire des sciences humaines pour de multiples raisons : à partir de l'analyse novatrice d'un phénomène historique précis, l'évergétisme, pratique de don à la collectivité développée durant l'Antiquité grecque et romaine, il met en perspective les apports de Mauss, de Polanyi et des économistes sur la question du don, analyse le fonctionnement du politique dans les sociétés, développe une théorie originale de l'idéologie et de la croyance comme phénomènes en leur coeur contradictoires, ceci en passant avec bonheur des écrits des auteurs de l'Antiquité à ceux de sociologues ou d'historiens, de l'histoire sociologique à la sociologie historique, disciplines formellement différenciables mais matériellement confondues."

    Paul VEYNE, né en 1930,  continue d'écrire des ouvrages pour une nouvelle écriture de l'histoire. Parmi ses nombreux titres, notons Comment on écrit l'histoire : essai d'épistémologie (Seuil, 1970), L'Elégie érotique romaine. L'amour, la poésie et l'Occident (Seuil, 1983), Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes? Essai sur l'imagination constituante (Seuil, 1983), La société romaine (Seuil, 1991), L'empire gréco-romain (Seuil, 2005), Quand notre monde est devenu chrétien (312-394) (Albin Michel, 2007), Michel Foucault. Sa pensée, sa personne (Albin Michel, 2008).

 

Paul VEYNE, Le pain et le cirque, Sociologie historique d'un pluralisme politique, Editions du Seuil, collection Points Histoire, 1995, 896 pages. Première édition en 1976.

 

Complété le 1 Août 2012. Relu le 19 octobre 2018

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20 novembre 2008 4 20 /11 /novembre /2008 15:29
      Au moment où le système capitaliste traverse une grande crise que d'aucuns comparent déjà à celle de 1929, il est extrêmement utile d'avoir une vision globale de la mondialisation actuelle.
Dans un ouvrage collectif coordonné par un diplômé d'études approfondies en relations internationale, en affaires européennes et en communication et le président du Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde (CADTM), où l'on trouve des rédacteurs de toute nationalité, depuis longtemps observateurs et acteurs du développement, les Editions Syllepse et le CADTM convient à un "tour du village planétaire".
   Aujourd'hui que l'économie de marché domine la planète, après avoir triomphé des systèmes dirigés d'économie, au moment où triomphe finalement ces intellectuels ayant en commun le désir d'abaisser l'Etat qui détruit selon eux la liberté de l'individu, les effets d'un capitalisme libéral et libéré éclatent dans toute leur splendeur. Il n'est même pas besoin d'être marxiste ou révolutionnaire pour faire un constat dont se désole aujourd'hui maints promoteurs et réalisateurs du système économique dans lequel nous vivons (où nous vivotons).
   Mais laissons les coordinateurs s'exprimer : "C'est le tour de ce "village planétaire" que cet ouvrage vous propose. Un tour d'une mondialisation prise dans son sens le plus large, c'est-à-dire sous ses aspects historique, géopoltique, culturel, économique et financier. Des escales auront lieu dans chaque partie du monde : le bateau ivre partira de l'Amérique du Sud, traversera l'Atlantique Sud pour arriver en Afrique, rejoindre l'Asie par l'Océan indien, puis remontera vers l'ex-bloc de l'Est, avant de terminer son itinéraire au sein de la Triade (Amérique du Nord, Europe et Japon).
Dans chacune de ces zones géographiques, une escale plus approfondie sera opérée dans un pays particulier : un historique et des repères géopolitiques et culturels permettront au lecteur de constater que d'une part, les pays du monde entier connaissent tous des causes communes à leurs problèmes et que, d'autre part, tous ces pays possèdent des singularités qui façonnent leurs identités et créent leurs richesses. Ainsi, le bateau ivre de la mondialisation prend la forme d'une analyse multipolaire : chaque partie du livre comporte un point de vue "local", grâce à la collaboration d'intellectuels qui, aux quatre coins du monde, sont engagés dans des combats citoyens. Ces points de vue replaceront systématiquement la réalité actuelle dans son contexte historique et culturel (le monde passant du colonialisme à la guerre froide, puis au néolibéralisme). Chacune de ces collaborations sera accompagnée de repères lexiques, permettant au lecteur non initié une compréhension claire des idées émises."
    Cette manière d'avoir une vue globale et locale en même temps, rappelle à la fois les grands textes publiés aux Editions Ouvrières par Jean-Marie ALBERTINI et ses collaborateurs sur les mécanismes de l'économie et du développement, par leur clarté et les grandes monographies économiques publies par les organisations internationales (FMI, OMC...).
       Ce livre convient à la fois aux étudiants en science économique et aux citoyens désireux de se repérer dans le marasme intellectuel actuel. Il fait partie d'un ensemble d'ouvrages dont on peut retrouver les titres au site Internet des Éditions Syllepse.
 
Sous la direction d'Arnaud ZACHARIE et d'Eric TOUSSAINT, Le bateau ivre de la mondialisation, Escales au sein du village planétaire, Editions Syllepse et CADTM, 2000, 264 pages.
Site des Editions Syllepse : www.syllepse.net
 
 
 
  
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18 novembre 2008 2 18 /11 /novembre /2008 15:54
      Pour qui est allergique aux considérations théoriques avec force tableaux et statistiques à l'appui, mais désireux de connaître la véritable ambiance des relations entre les différents acteurs économiques, notamment dans la sphère des responsables d'entreprise, ce livre de Jean-Louis GOMBEAUD, journaliste, conseiller pour les questions économiques de la chaîne télévisée parlementaire "Public-Sénat" est tout-à-fait indiqué.
     Dans un style... journalistique et sans s'embarrasser beaucoup de références, cet auteur s'efforce de plonger le lecteur dans l'économie agressive et le marché conquérant. Tout semble un décalque de la guerre sur l'économie, notamment au niveau de la mentalité des grands entrepreneurs. Soumettre l'adversaire à sa volonté semble l'objectif de ces chefs d'entreprises avides de profits. Il faut lire le passage en milieu d'ouvrage presque truculent du résumé de la dynamique économique pour vraiment comprendre dans quel monde nous vivons réellement, au-delà des rapports ampoulés et des discours soporifiques.
 
        L'éditeur présente cet ouvrage de la manière suivante (en quatrième de couverture) : ""Voilà l'ennemi!" en qualifiant ainsi Microsoft, le PDG de Sony est explicite sur sa vision de la concurrence. En déclarant : "Je vais au bureau comme à la guerre" celui de Gucci l'est tout autant. "Lutter jusqu'à la mort"... par cette bravade dont il est coutumier, le patron de Danone décrit clairement son environnement... Nous sommes tous impliqués dans ce qui est le premier conflit économique mondial. Les terrains de bataille sont différents des guerres d'antan, mais les axes stratégiques enseignés par les grands maîtres demeurent : regroupement de forces, économie de moyens, persévérance, commandement, communication. Le but reste celui défini par Clausewitz : "soumettre l'adversaire à notre volonté". L'adversaire aujourd'hui, c'est le concurrent ; il est partout. Mais qui tiendra "le dernier quart d'heure" celui qui permet d'arracher la victoire? Dans ce monde ouvert, seules les entreprises américaines peuvent s'appuyer sur un Etat solide, déterminé à défendre exclusivement leurs intérêts. L'Europe est évanescente, la gouvernance balbutiante, la politique après des années d'échec d'étatisme, en voie de disparition. Ce déséquilibre est source d'instabilité, facteur d'incertitude. L'incertitude qui est la cause permanente des guerres de la préhistoire à nos jours. Si tu veux la paix, réhabilite la politique."
 
     Denis CLERC, dans Alternatives économiques n°222, en février 2004, se montre critique envers cet ouvrage : "l'auteur a entrepris de repérer, dans l'ensemble des faits et des réflexions de tous ordres, les liens qui existent entre la guerre et le marché. Sa quête est impressionnante. La guerre est rationnellement une folie : rares sont les vainqueurs qui peuvent dire que leur victoire paye les coûts de toutes sortes qu'il leur a fallu supporter. Tout le monde y perd, mais elle subsiste parce que chaque belligérant a peur que l'autre commence. Avec le marché, au contraire, tout le monde est censé gagner. Est-ce si sûr? En accumulant, on suscite chez les autres des désirs de guerre, parce qu'ils craignent que cette richesse ne serve à les attaquer. Les marchands ne sont pas une alternative à la guerre, ils contribuent à la préparer et, souvent, ils s'en servent pour pénétrer les pays qui, à défaut, leur resteraient fermés. Aujourd'hui, avec la mondialisation, les firmes deviennent plus agressives, parce qu'elles aussi craignent d'être attaquées par le concurrent : manger ou être mangé. Montesquieu et son "doux commerce" peuvent se rhabiller : la superpuissance utilise le commerce pour dominer, tandis que le commerce utilise l'agressivité pour triompher. Guerre et marché ne s'excluent pas, ils s'appellent, au service d'une même cause, faute de gouvernance politique du monde. Vision pessimiste en diable, appuyée sur une documentation et une culture éblouissantes, mais qui laisse cependant le lecteur dubitatif. Peut-être parce que l'auteur reconstruit l'histoire à sa façon (les gains de productivité comme facteur de guerre, par exemple), mais surtout parce qu'il ne part pas de l'histoire, mais y puise ponctuellement ce qui conforte sa thèse. Sans doute l'ampleur du sujet l'y contraignait-il. Mais cela enlève de la force de conviction à une approche qui demeure ad hoc."
 

 

    Jean-Louis CHOMBEAUD, éditorialiste économiste quotidien sur la radio Europe 1 et éditorialiste économique au quotidien "Nice Matin" (en 2000), chef du service économique de Radio France Internationale et éditorialiste économique à France Info (1989-1990), rédacteur en chef chroniqueur économique sur France Info (1990-1197) est aussi l'auteur d'autres ouvrages économiques. Ainsi Quel avenir pour la crise (Editions Sociales, 1981), Les Marchés mondiaux en 1984-95 (Economica, 1985), La Guerre du cacao, histoire d'un embargo (Calmann-Lévy, 1990), Le retour de la très grande dépression (Economica, 1999) et La crise de cent ans (Economica, 2011).

    Jean-Louis GOMBEAUD, Guerre dans le marché, Economica, 2003, 206 pages.
 
 
Complété le 30 Août 2012. Relu le 24 octobre 2018.
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12 novembre 2008 3 12 /11 /novembre /2008 15:49
           A l'heure où les médias semblent s'affoler au rythme des chutes des cours des Bourses, au moment où certains ministres et certains responsables d'entreprise clament qu'on ne pouvait prévoir une telle crise financière, la lecture du livre de Patrick ARTUS et de Marie-Paule VIRARD, paru en 2005, vient à point pour mettre en évidence une certaine médiocrité politique et une imprévoyance économique bien partagée.
       "Le capitalisme est-il en train de s'autodétruire? La question peut sembler saugrenue, voire provocatrice au moment même où les grandes entreprises de la planète, à commencer par les entreprises françaises, affichent des profits très élevés et distribuent des dividendes records à leurs actionnaires, tandis que les salariés voient leur pouvoir d'achat se réduire dans un climat où l'inquiétude grandit, dominée par la multiplication des délocalisations, la permanence d'un niveau de chômage élevé et de la précarité sous toutes ces formes. Et comme plus la croissance est molle, plus les profits explosent, rien d'étonnant à ce que le débat sur la légitimité d'un tel "partage" des richesses monte en puissance. Pourtant, c'est au moment où le capitalisme n'a jamais été aussi prospère, aussi dominateur, qu'il apparaît le plus vulnérable, et nous avec lui..."  Qui écrivent cette introduction alarmiste? Des révolutionnaires marxistes? Non, une journaliste rédactrice en chef du magazine Enjeux-Les Echos et le directeur des études économiques du Groupe Caisse d'épargne et de la Caisse des dépôts et consignations...
                
        Après le constat d'un état du capitalisme où les richesses affluent vers le capital au détriment du travail (entendez les traitements et salaires), où les bénéfices accumulés servent à alimenter des stratégies de conquêtes d'entreprises rivales, où il n'existe plus de projet réel d'investissement dans ce que certains appellent l'économie réelle, les auteurs préviennent qui veulent bien les entendre que celui-ci risque de s'effondrer de lui-même. Loin de faire une analyse de chute tendancielle accélérée des taux de profits, ils mettent en relief le fonctionnement financier des entreprises, où l'imagination comptable ne semble pas avoir de bornes.
      Les deux économistes proposent d'ailleurs une réforme profonde de la gestion de l'épargne et de nouvelles règles de "gouvernance" aux gérants comme aux régulateurs, qui permettraient d'éviter une nouvelle crise du capitalisme, avec des conséquences politiques et sociales beaucoup plus graves que celles des précédents éclatements de diverses "bulles" financières.
       L'intérêt de proposer la lecture d'un tel livre n'est pas de jouer aux "On vous l'avait bien dit..." mais de montrer une aspect - dans l'actualité - de conflits non seulement ici entre grandes entreprises et travailleurs, mais également entre nécessités économiques toujours présentes (l'investissement vers des secteurs productifs et générateurs de progrès économiques et sociaux) et stratégies financières à court terme.
 
     L'éditeur présente ce livre de la manière suivante : "... Dans ce livre décapant et remarquable de clarté, les auteurs n'y vont pas par quatre chemins pour qualifier ce paradoxe : c'est au moment où le capitalisme n'a jamais été aussi prospère qu'il apparait le plus vulnérable, et nous avec lui. Parce qu'il s'agit  d'un capitalisme sans projet ; qui ne fait rien d'utile de ses milliards, qui n'investit pas, qui ne prépare pas l'avenir. Et face au malaise social, les gouvernements ne traitent le plus souvent que les symptômes, faute de prendre en compte le fond du problème. Ce problème, c'est l'absurdité du comportement des grands investisseurs, qui exigent des entreprises des résultats beaucoup trop élevés. Du coup, elles privilégient le rendement à trois mois plutôt que l'investissement à long terme, quitte à délocaliser, à faire pression sur les salaires et à renoncer à créer des emplois ici et maintenant. Voilà pourquoi il est urgent, expliquent les auteurs, de réformer profondément la gestion de l'épargne, d'imposer de nouvelles règles de gouvernance aux gérants comme aux régulateurs. Faute de quoi on n'évitera pas une nouvelle crise du capitalisme, avec toutes ses conséquences politiques et sociales."
 
    Dans Alternatives Economiques n°242, de décembre 2005, nous pouvons lire la critique de Christian CHAVAGNEUX : "Indéniablement, il se passe quelque chose chez les économistes français. Les ouvrages où ils annoncent, dénoncent, le dysfonctionnement du capitalisme contemporain se multiplient. La critique est féroce et semble paraitre comme le nouveau consensus, une victoire indéniable pour des auteurs comme Robert Boyer ou Michel Aglietta, dont les travaux nous alertaient depuis un moment sur le sujet. Que l'on en juge : nous présentions ici, le mois dernier,  le livre de Jean Peyrelevade (le capitalisme total) et on trouvera dans les pages qui suivent la présentation d'Elie Cohen (le nouvel âge du capitalisme). Mais le plus radical, venant d'économistes plutôt orthodoxes, est sans nul doute le livre que viennent de publier Patrick Artus et Marie-Paule Virard. La logique froide du raisonnement économique y est appliquée, mais présentée dans un style percutant et clair, pour dénoncer les rouages du piège à croissance faible dans lequel une bonne partie de l'Europe, dont la France, est tombée. Au départ, il y a le constat de la croissance rapide des profits des entreprises, des dividendes distribués aux actionnaires, des rémunérations accordées aux dirigeants et des retraites en or massif que se prépare tout ce beau monde. En face, les salaires stagnent, donc la demande, donc l'investissement, donc la croissance, donc les créations d'emplois manquent, donc le chômage augmente, poids supplémentaires pour compresser les salaires. On vous avait prévenu : la logique économique est implacable. Et comme quelques centaines de millions de Chinois et d'Indiens se sont mis en tête de nous tailler les croupières, les entreprises délocalisent pour baisser leurs coûts (et cette menace renforce la pression sur les salaires) ou engagent quelques investissements de productivité (d'où de faibles créations d'emplois). Malheureusement, les secteurs de haute technologie restent les moins bien lotis, et une bonne partie de l'Europe accumule un retard difficilement rattrapable en ce domaine. Résultat : le capitalisme français - car c'est bien de celui-là  dont il s'agit plus que du capitalisme en général - est un capitalisme sans projet, de croissance molle, mais qui finira par s'écrouler. Face à cela, le livre est riche de conseils sur les mauvaises réponses à éviter. Par exemple, relancer la consommation en augmentant la participation (les salariés des PME n'en touchent pratiquement pas, et ce sont les salariés les plus riches qui en bénéficient le plus) ou en engageant une hausse généralisée des salaires (problème de compétitivé, et le travail non qualifié est déjà cher, avancent les auteurs). Dans le même temps, les exemples proposés de modèles qui réussissent (Royaume Uni, Suède, Espagne) doivent leur succès à des augmentations de salaires qui suivent celles de la productivité, ou à des créations d'emplois. Bref, Patrick Artus et Marie-Paul Virard aimeraient bien que les entreprises s'engagent moins dans une course au rendement financier et nourrissent plutôt la demande en redistribuant à leurs salariés les plus qualifiés une partie de leurs profits et en investissant, au lieu d'amasser des trésors. Pour les salariés les moins qualifiés, ils réclament d'aller plus loin dans la prime pour l'emploi : ses effets macroéconomiques restent encore trop faibles (...) alors qu'elle est une bonne incitation au retour à l'emploi. Comment y arriver? Les nouvelles règles de la gouvernance d'entreprise ne le permettront pas : elles sont inadaptées. Et les nouvelles normes comptables mises en oeuvre depuis le début de l'année dans les sociétés côtées ne font qu'aggraver les choses. La conclusion du livre renvoie piteusement "à la responsabilité de chacun des acteurs", autant dire aux calendes grecques. Mais comme chacun sait, les économistes ne font pas de politique..."
 

 

 

 

 
   Patrick ARTUS (né en 1951), économiste français et directeur de la recherche et des études de NATIXIS, professeur associé à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre du Cercle des économistes, qui écrit régulièrement des chroniques et points de vue (Le Monde, Alternatives économiques, Challenge, Les Echos...), est l'auteur de nombreux ouvrages : Le choix du Système de retraites (Economica, 1999) ; La nouvelle économie (La Découverte, 2001) ; La France peut se ressaisir (Economica, 2004) ; Macroéconomie (Economica, 2005) ; Les incendiaires - Les banques centrales dépassées par la globalisation (Perrin, 2007)  ; Globalisation, le pire est à venir (avec Marie-Paule VIRARD, La Découverte, 2008) ; Est-il trop tard pour sauver l'Amérique. (avec Marie-Paule VIRARD, La Découverte, 2009) ; Sorties de crise. Ce que l'on ne vous dit pas (avec Olivier PASTRÉ, Editions Perrin, 2009) ; La France sans ses usines (avec Marie-Paule VIRARD, Fayard, 2011)....
 
   Marie-Paule VIRARD, rédacteur en chef du magazine Enjeux-Les Echos est l'auteure d'autres ouvrages : On comprend mieux le monde à travers l'économie (avec Patrick ARTUS, Pearson Eduction, 2008) ; La finance mène t-elle le monde? (Larousse, 2008) ; Le roman des grands patrons (Flammarion, 2001)...

Patrick ARTUS, Marie-Paule VIRARD, Le capitalisme est en train de s'autodétruire, La Découverte, collection Cahiers libres, 2005, 143 pages.
 
 
Complété le 20 octobre 2012. Relu le 31 octobre 2018.
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11 novembre 2008 2 11 /11 /novembre /2008 16:06
 
      Publié en France en 1968, ce livre iconoclaste à bien des égards se présente (ironiquement?) comme un "rapport sur l'utilité des guerres" qui aurait été commandité par le gouvernement américain et élaboré par quinze experts dans la perspective de faire face à une "situation de paix permanente".
     Destiné donc, le jure l'économiste J.K. GALBRAITH, à analyser les conséquences de l'absence de guerre dans toute une série de domaines - économiques, politiques, sociaux et culturels - le "rapport" étudie les fonctions de la guerre de manière extrêmement froide, on en jugera à la lecture très aisée de deux centaines de pages d'un texte  assez aéré.  On y trouve par exemple des considérations sur la guerre en tant que facteur de libération sociale (elle procure les réajustements nécessaires aux critères du comportement social civique), en tant que stabilisateur des conflits entre générations et en tant que clarificateur des idéologies...
       Les fonctions économiques de la guerre sont particulièrement étudiées dans ce rapport, celle-ci étant considérée comme régulatrices d'un système économique sujet à des crises régulières.
  
     Le grand mérite de ce "rapport" est de mettre l'accent sur les fonctions non militaires de la guerre, notamment sur les aspects curatifs à propos des conflits sociaux, et à son corollaire immédiat sur la fonction étatique de contrôle social des citoyens. Dans sa seconde partie, il examine d'ailleurs les substituts à ces fonctions non militaires, dans la situation particulière angoissante d'une prolongation indéfinie de la paix. Pour l'économie, il préconise "une consommation de richesses, à des fins totalement non productives, d'un niveau comparable à celui des dépenses militaires telles que les rendent nécessaires l'ampleur et la complexité de chaque société". Dans le domaine politique, un "substitut durable posant en principe l'existence d'une menace externe d'ordre général pesant sur chaque société, menace d'une nature et d'une intensité suffisantes pour exiger, d'une part, l'organisation, de l'autre, l'acceptation d'une autorité politique." En écologie, il faut trouver un moyen de contrôle démographique de l'espèce humaine aussi performant que la guerre... On le comprend, le "rapport", tout en mettant en garde les responsables politiques contre certaines conséquences catastrophiques de la paix, est loin de faire des propositions concrètes et précises, ce que l'on peut déplorer, si l'on garde le ton général de l'ouvrage...
 
     En quatrième de couverture, on peut lire cette introduction : "Quinze experts réunis en secret par le gouvernement américain "d'examiner avec réalisme les problèmes qui se poseraient aux États-Unis si une situation de "paix permanente" se produisait? Ont-ils été également chargés de préparer un programme de gouvernement pour le cas où cette hypothèse viendrait à se réaliser? Et leurs travaux ont-ils vraiment eu pour conclusion qu'une situation de paix permanente présenterait pour "la stabilité de la société" de tels dangers qu'ils en sont venus à envisager le maintien du "système fondé sur la guerre" comme préférable à celui qui serait fondé sur la paix?
La lecture de ce rapport laisse le problème entier. Oeuvre de pure imagination ou monumentale indiscrétion? Dans sa préface J. K. GALBRAITH déclare "garantir l'authenticité de ce document, dans la mesure où il peut être fait confiance en sa parole et sa bonne foi". Le sérieux de l'argumentation, la précision des raisonnements, la froideur, le manque de subjectivité, le détachement absolu de toute idée ou sentiment préconçu font de ce rapport un document passionnant par son intelligence et terrifiant par son cynisme. Il est comme l'annonce d'une nouvelle civilisation : celle où les questions de vie et de mort ne dépendront plus du coeur des hommes mais des circuits des machines à penser."
Il est à noter que dans ses conclusions, le Rapport propose une méthodologie pour une Agence de Recherches sur la Guerre et la Paix, orientée vers l'exploration dans tous les domaines évoqués de substituts aux bienfaits apportés par la guerre...  vu que "malheureusement" l'état de guerre semble devoir prendre fin...
 


     Rapport sur l'utilité des guerres, La paix indésirable?, Préface de H McLandres, pseudonyme de J.K GALBRAITH, Introduction de Léonard LEWIN, Calmann-Lévy, 1968, 209 pages. Traduction de l'ouvrage américain "Report from iron mountain on the possibility and desirability of peace", paru en 1967 chez Leonard C.LEWIN.
 
Complété le 1er novembre 2018
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3 novembre 2008 1 03 /11 /novembre /2008 16:07

 

   L'heure des guerres révolutionnaires, contrairement à ce que laissent entendre les médias dominants n'est pas terminée avec la chute de l'Union Soviétique. Il n'est plus aujourd'hui besoin de qualifier de marxistes certaines luttes très violentes pour les discréditer et les mêler à des terrorismes aux intentions bien moins émancipatrices.
  Le livre de Carlos MONTEMAYOR, un des meilleur connaisseur du Mexique d'aujourd'hui, nous donne les éléments  pour comprendre réellement la rébellion du Chiapas et du sous-commandant Marcos, loin d'une musique romantique très prisée par certains médias. Partant de la réalité politique d'aujourd'hui (le livre date de 2001), et remontant aux conditions de la colonisation espagnole qui a spolié tout un peuple sous couvert d'évangélisation, l'académicien mexicain, en même temps journaliste et éditorialiste, fait saisir les multiples facettes de conflits séculaires. La culture indigène, la construction d'une véritable démocratie, la permanence des luttes des paysans mexicains, sont la toile de fond de la guérilla des montagnes.
   Dans ce livre très clair, illustré de cartes et de photographies parlantes, Carlos MONTEMAYOR montre les enjeux qualifiés de basse intensité par nombres de stratégistes occidentaux. Pour lui, l'EZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale), véritable organisation de masse, constitue une chance pour un futur Mexique pacifié, à la démocratie réelle et une justice sociale véritable. Face à des dirigeants particulièrement pervers (capables de signer des accords internationaux sans les respecter) d'appareils militaires et policiers qui militarisent une grande partie du pays, les zapatistes affirment toujours la même résolution.
   Une résolution qui vient de loin si l'on se réfère à un autre ouvrage paru aux mêmes éditions sur la Révolution mexicaine (1916-1926) où les mêmes injustices sociales et  dénégation culturelle avaient produits les mêmes effets.

Carlos MONTEMAYOR, La Rébellion indigène du Mexique, Violence, autonomie et humanisme, Presses de l'Université Laval, Éditions Syllepses, collection "Coyoacan",  2001, 189 pages. Avec une préface d'Ignacio RAMONET.
   Adolfo GILLY, Révolution mexicaine, 1916-1926, Une révolution interrompue, Une guerre paysanne pour la terre et le pouvoir, Éditions Syllepse, collection "Coyoacan", 1995, 299 pages. Il s'agit de la première traduction française d'un livre paru déjà plus de vingt ans auparavant au Mexique en langue espagnole et traduit en anglais.
    On lira, entre autres, avec intérêt les deux petits livres d'une trentaine de pages chacun, "Guerre sociale au Guerrero", toujours aux Éditions Syllepse.
 
Relu le 3 novembre 2018
  

 

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28 octobre 2008 2 28 /10 /octobre /2008 13:42

 

            Enquêter sur la guerre constitue une des tâches assumées par les belligérants lorsque les combats ont cessé. Ou plutôt enquêter sur une guerre, comme celles des balkans de 1912-1913, la première guerre mondiale de 14-18 ou celle du VietNam de 1969-1970, pour le massacre de My Laï. Car les guerres sont souvent suivies d'enquêtes menées par des tiers ou l'un des belligérants lui-même voulant comptabiliser les pertes humaines et matérielle, punir les coupables désignés - souvent des vaincus - et réparer, pour fixer le montant des réparations pour dommage de guerre aux vaincus, encore souvent, sinon toujours.
     Cela fait penser à la continuation de la guerre par d'autres moyens, mais sans aller jusque-là, et en tout cas pas dans les études proposées dans ce numéro de la revue "Le mouvement social", il est utile de comprendre qu'avec la fin des hostilités armées, de multiples démarches pour évaluer une guerre ne sont pas seulement le fait d'historiens impartiaux et désireux de comprendre cette guerre.
     L'histoire du conflit entre deux pays ou deux contrées, ou deux peuples venant de cesser leur guerre se poursuit à travers les traités et conventions ensuite signées pour y mettre fin officiellement de manière plus ou moins définitive. C'est souvent la mémoire de cette guerre qui se construit. Que ce soit chez les vaincus ou chez les vainqueurs, les leçons qu'ils en tirent sont évidemment influencées par la manière dont les enquêtes sont menées. Dégager les responsabilités d'une guerre est souvent le fait des vainqueurs, soit pour en dégager les bénéfices pour eux-mêmes, soit pour éviter qu'elle ne recommence. Si les premières raisons de la démarche de recherches des responsabilités ont guidé les responsables politiques pendant longtemps - c'était de bonne guerre (!) - les deuxièmes raisons l'emportent aujourd'hui, et ce sont des armées de juristes qui s'efforcent d'en déterminer les causes. Aujourd'hui, par exemple, le Tribunal pénal international (TPIY) utilise les données d'enquête produites par des Organisations Non Gouvernementales à des fins juridiques afin de traduire en justice les "coupables" d'atrocités commises en ex-Yougoslavie.
      Ecrire l'histoire d'une guerre, ce n'est pas simplement faire "acte de mémoire", ou établir les réparations aux victimes, c'est aussi constituer une partie de la culture non seulement des peuples en cause, mais, à l'heure de la mondialisation tous azimuts, de l'ensemble de l'humanité.
             C'est aussi le droit international qui se construit de cette manière. Nathalie MOINE en éditorial de ces études indiquent qu'"ils établissent un lien entre la production des normes juridiques relatives au comportement des armées et des forces d'occupation en temps de guerre et la mise en forme des récits sur la guerre qui ne sont pas encore issu du travail de l'historien mais qui répondent aux préoccupations des règlements du conflit." "Comprendre l'origine de la production de ces enquêtes et leurs attendus, c'est aussi comprendre tout ce qu'elles n'englobent pas. Quelles sont les questions laissées de côté? Quels sont les témoignages ignorés ou restés inexploités après avoir été collectés? Précisément parce qu'elles ne correspondent pas à une volonté de savoir universelle, mais parce qu'elles poursuivent un objectif précis, dicté par la législation en cours, les investigations ne peuvent ni ne veulent être exhaustives".
      C'est dans cette perspective que sont réunis dans ce numéro de début 2008 des articles aussi différents que "l'enquête, le délit, la preuve : les "atrocités" balkaniques de 1912-1913 à l'épreuve du droit de la guerre" (Dzovinar KEVONIAN), "Compter les vivants et les morts : l'évaluation des pertes françaises de 1914-1918" (Antoine PROST), "La commission d'enquête soviétique sur les crimes de guerre nazis" (Nathalie MOINE) ou "La rumeur de Pinkville, Les commissions d'enquête sur le massacre de My Lai (1969-1970)" (Romain HURET) ou encore "La preuve par les victimes. Bilans de guerre en Bosnie-Herzégovine" (Isabelle DELPLA). Ce sont huit cas qui sont examinés avec précision et de nombreux chiffres.
 
    L'éditeur présente ce numéro de Le Mouvement social de la manière suivante :
"Comment se construit le bilan de la guerre? A partir de quels matériaux écrit-on l'histoire d'une guerre? L'objet de ce numéro porte sur un aspect essentiel de la fabrication du récit des guerres contemporaines : la constitution de bases documentaires, accumulées au cours de la guerre ou à sa sortie, dans la perspective de son règlement. Cette production de témoignages, oraux ou écrits, de données chiffrées, de photos, de films, contemporaine des événements, s'explique en bonne partie du fait du développement de conventions sur le droit de la guerre depuis le XIXe siècle, qui impliquent, en cas de transgressions, tout un arsenal de mesures contre le contrevenant, du paiement de réparations au jugement des crimes de guerre, crimes contre l'humanité, etc.
Cette pratique participe donc d'une histoire plus générale de la guerre moderne, qui allie des violences inouïes perpétrées contre les combattants et les populations civiles et l'anticipation, parfois dès le tout début du conflit, d'un réglement international codifié. Fondamentale pour les protagonistes, elle est rarement étudiée en tant que telle par les historiens, qui utilisent ces matériaux sans toujours en discuter les conditions de production. Les articles de ce numéro, à travers différents cas de figures issus des conflits du XXe siècle, démontent les objectifs très variables et souvent concurrents des organisations étatiques, commissions d'enquêtes non gouvernementales, administrations, qui ont pour tâche de documenter la violence faite aux corps mais aussi aux biens de ceux qui sont au centre de la plupart de ces enquêtes : les populations civiles."
 
   Nathalie MOINE, chargée de recherches au CNRS, enseignante à l'EHESS (en 2012-1013, sur la Formation à l'histoire contemporaine des mondes russes, de l'Empire des Tsars à l'URSS, L'univers des choses soviétiques, La guerre à l'Est - URSS-Europe centrale, de 1939 à nos jours : production, usage et reconfiguration des récits), participe aussi à l'étude Sortir de la guerre en Russie (voir blog passion-histoire.net).

    Enquêter sur la guerre, sous la direction de Nathalie MOINE, Le mouvement social, Janvier-Mars 2008, numéro 222, La Découverte. Site : http://mouvement-social.univ-paris1.fr.
   Il s'agit d'une revue trimestrielle fondée par Jean MAITRON en 1960, publiée par l'association "Le mouvement social".
 
Complété le 4 février 2013
Relu le 10 août 2018
 
   
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28 octobre 2008 2 28 /10 /octobre /2008 10:26
    
        Au moment où sur les frontières occidentales de la Russie d'aujourd'hui se mènent des luttes où se mêlent occupations militaires brèves, déstabilisations de régimes politiques, manoeuvres d'ordre économique, le livre de l'ancien conseiller en matières stratégiques du président américain Jimmy CARTER (de 1977 à 1981), expert au Center for Strategic and International Studies à Washington, permet de se faire une idée claire des enjeux dans cette région, comment les enjeux de cette région relèvent de la géopolitique mondiale. Du point de vue d'une partie de l'élite nord-américaine, bien entendu. Ecrit en 1997, ce livre n'a pas beaucoup vieilli et se lit avec encore beaucoup d'intérêt.
Comme l'écrit dans la préface Gérard CHALIAND, Zbigniew BRZEZINSKI (né en 1928) donne ici l'analyse politique et stratégique la plus rigoureuse du nouvel ordre mondial dominé par les Etats-Unis et des voies et moyens pour que dure cette suprématie. L'objectif clair de l'auteur est de formuler une politique géostratégique cohérente pour l'Amérique sur le continent eurasien.

     Pour lui, le conflit entre la Russie et l'Amérique se concentre sur la périphérie du continent. "Le bloc sino-soviétique, qui domine la majeure partie de la vaste Eurasie, ne réussit jamais à en contrôler les franges orientales et occidentales, sur lesquelles l'Amérique parvient à s'ancrer et à se doter de bases solides. La défense de ces têtes de pont continentales donne lieu à des bras de fer successifs entre les deux adversaires. Les premiers épisodes de tensions, en particulier le blocus de Berlin sur le "front" ouest et la guerre de Corée à l'Est, sont ainsi les premiers tests stratégiques ce qu'on allait appeler la guerre froide."
Cartes à l'appui, analyses historiques d'ampleur portées constamment à l'esprit, le conseiller stratégique montre que, même si la Russie s'est vue amputée d'importants territoires depuis la fin de l'Union Soviétique, les données géopolitiques restent les mêmes. Considérant l'empire américain comme celui d'une hégémonie d'un type nouveau, fondé autant sur la culture que sur les instruments militaires, son examen de l'échiquier eurasien comme formé d'un espace central et de façades Ouest, Sud et Est, l'amène à identifier cinq grandes questions qu'il détaille tout au long de son livre :
- Quel type d'unité européenne a les faveurs de l'Amérique et comme l'encourager?
- Quel profil la Russie pourrait-elle adopter qui préserve au mieux les intérêts américains? Comment et jusqu'à quel point l'Amérique peut-elle peser dans ce processus?
- Dans quelle mesure de nouveaux "Balkans" peuvent-ils apparaitre au centre de l'Eurasie et comment l'Amérique peut-elle minimiser les risques d'explosions?
- Quel rôle la Chine doit-elle être encouragée à adopter en Extrême-orient et quelles en seraient les conséquences pour l'Amérique, mais aussi pour le Japon?
- Quelles nouvelles coalitions sont susceptibles de se former sur le continent, lesquelles pourraient menacer les intérêtes américains, et à quels moyens recourir pour les prévenir?

     Le jeu croisé des alliances (Union Européenne, Alliance Atlantique) dans une stratégie américaine est de permettre au moins la neutralisation de l'Ukraine, qui avec la Pologne, l'Allemagne et la France, devrait former après 2010 la colonne vertébrale de la sécurité européenne. Même tendance à l'Est pour permettre à la Chine de mener une politique favorable aux États-unis.
C'est à court terme que Zbigniew BRZEZINSKI veut que l'on préserve, dans le langage un peu "langue de bois", qui reflète bien des présupposés idéologiques, "le pluralisme géopolitique qui prévaut sur la carte d'Eurasie". Par le biais de manoeuvres politiques et de manipulations, on pourra prévenir l'émergence d'une coalition hostile qui pourrait contester la suprématie des Etats-Unis (...)".
         Craignant une vie courte à la monopolarité d'alors, il presse les responsables américains de s'engager plus nettement pour "favoriser la stabilité géopolitique internationale et faire renaître en Occident un sentiment d'optimisme historique." L'auteur regrette, et on peut trouver cela humoristique ou tragique, que les Etats-Unis n'ont pas "réussi à faire comprendre le lien qui existe entre le besoin généralisé de mieux être et la sauvegarde de la position centrale des Etats-Unis dans les relations internationales."  
Il termine son livre par le souhait de la naissance d'une structure de coopération mondiale fondée sur des réalités géopoltiques qui assumerait le pouvoir de "régent" mondial, responsable de la stabilité mondiale et de la paix.
       On ne peut que constater une certaine naïveté à promouvoir un encerclement de la Russie et la paix en même temps, une certaine naïveté aussi à penser que la nature différente de l'hégémonie mondiale des Etats-Unis, par rapport aux hégémonies historiques romaine, espagnole, portugaise, française, suffit à justifier la perpétuation de sa position. Il y a une certaine naïveté aussi à penser qu'il existe une sorte de propriété sur la paix et la liberté des Etats-Unis qui ferait adhérer à son projet de domination interminable.
     Après une dizaine d'années, l'ouvrage doit sans doute tout de même être actualisé sur certains points. D'une part les Etats-Unis n'ont pas du tout évolué vers un partage des responsabilités, au moins jusqu'à l'arrivée du président actuel au pouvoir : l'invasion de l'Irak, le rejet du protocole de Kyoto sont autant de décisions unilatérales lourdes d'avenir. Qui ne vont pas dans le sens d'une cogestion - même sous hégémonie encore américaine - des intérêts de la planète. De multiples pôles de puissances émergent (Brésil, Chine, inde, mais aussi sans doute certains autres qui n'attirent encore l'attention ni les médias ni les analystes, nous pensons notamment à l'Afrique du Sud... ) et il est sans doute trop tard pour appliquer la diplomatie que l'auteur propose...
Mais l'auteur lui-même en a bien conscience, puisqu'il fait publier une version actualisée de ce livre, sous le titre The Choice : global domination or global leadership, Basic Books, en 2004.  Sa théorie reste que l'amélioration du monde et sa stabilité dépendent du maintien de l'hégémonie américaine. Toute puissance concurrente est encore représentée comme une menace pour la stabilité mondiale. Ce qui n'exclue pas les prises de position contre "la guerre contre la terreur" menée sous l'administration Bush. 
 

 

     
     Zbigniew BRZEZINSKI est également l'auteur d'ouvrages importants, comme La révolution technétronique (Between the Two Ages : America's Role in the Technetronic Era) (Calmann-Lévy, 1971) ou Power and Principle : memoirs of the National Security Adviser, 1977-1981 (New york, Farrar Strauss, Giroux, 1983) ou Grand Failure : The Birth and Death of Communism in the Twentieth Century (New York, Charles Scribner's Sons, 1989). Un de ses derniers ouvrages s'intitule  Strategic Vision : America and the crisis of Global Power (Basic Books, 2012). 

    
     Zbigniew BRZEZINSKI, Le grand échiquier, L'Amérique et le reste du monde, Hachette littératures, collection Pluriel, 2000, 273 pages, Préface de Gérard CHALIAND, Traduction de l'anglais de Michel BESSIERE et de Michelle HERPE-VOSLINSKY, de "The Grand Chessboard", 1997, publié chez BasicBooks. A noter que Bayard Editions l'avait publié en 1997.
 
Actualisé le 11 Juillet 2012
Relu le 11 août 2018


   
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18 octobre 2008 6 18 /10 /octobre /2008 12:25

 

    Pour qui veut se familiariser avec une certaine manière de raconter les batailles ou de lire la stratégie sans plonger dans trop de lectures théoriques, le livre de Frédéric ENCEL est tout à fait indiqué. Il constitue une bonne mise en appétit dans la connaissance de l'art de la guerre. Faite de petits textes se rapportant soit à une bataille, soit à un théoricien, un stratège ou un stratégiste, cette introduction parcours l'histoire de 1286 avant Jésus-Christ (la bataille de Kadesh) à 1973 pour prendre la dernière bataille traitée (la guerre du Yom Kippour).
    On peut regretter des oublis et des restrictions, mais cela fait partie de la règle du jeu que s'est établie l'auteur. La sélection des entrées relatives aux batailles "s'est faite sur 3 critères précis et relativement différents : leur caractère décisif au regard d'un conflit ou d'une époque, leur dimension novatrice (emploi de tactiques ou de techniques nouvelles, bilan sans précédent...), enfin leur valeur symbolique ou mythique forte qui permit une instrumentalisation à des fins politiques."
Frédéric ENCEL, docteur en géopolotique, consultant en risques-pays et enseignant à l'Institut d'Etudes Politiques de Rennes, et on le comprend, avoue bien que le choix des hommes est plus délicat. Prendre Louis XI et Hassan Ibn Saba après avoir pris Clausewitz ou Sun Tse révèle bien une certaine pédagogie et on ne saurait l'en critiquer. L'objectif est d'ouvrir l'esprit avant tout, pour de futures découvertes plus approfondies ; en tout cas, c'est comme cela que je l'ai pris.
Après chaque article, de nombreuses références bibliographies permettent de commencer des approches plus étendues.
   A noter une postface de 2002 où l'auteur fait référence à "la gigantesque offensive terroriste du 11 septembre 2001" pour en faire "la soixante-cinquième case de l'échiquier",  après les 64 entrées qu'il nous propose ici.
 
    Nous pouvons lire de la part de l'éditeur :
"Soixante-quatre stratèges et batailles comme les soixante-quatre cases d'un échiquier... De Ramsès II à la guerre du Golfe, des ruses de César et de Xénophon aux théories nucléaires de Kissinger et de Mao, de la légende de Ronceveaux à celle de Valmy, la stratégie a toujours été perçue et menée à la manière d'un art. Comment Alexandre le Grand vainquit-il à quatre reprises les gigantesques armées de Darius? Quelle stratégie permit au vieil érudit chiite Hassan Ibn Saba, retranché dans un nid d'aigle avec une poignée d'hommes et de jolies esclaves, de provoquer à lui seul l'effondrement du plus puissant des empires de son époque? Pourquoi, au cours de la guerre de Cent Ans, l'infanterie anglaise écrasa-t-elle la redoutable chevalerie française? Qu'est-ce qui fit chuter Napoléon Bonaparte, le vainqueur d'Austerlitz? Pour quelles raisons le capitaine de Gaulle, visionnaire de la guerre mécanisée et annonciateur du cataclysme, fut-il négligé par l'état-major français des années 1930, mais lu, compris et "appliqué" avec succès par les généraux allemands au service de la démence hitlérienne? Par quel prodige Tsahal, armée populaire du minuscule État d'Israël, triompha-t-elle en quelques jours d'adversaires coalisés et bien supérieurs en nombre et en matériel? Comment comprendre enfin que les deux plus grands théoriciens militaires de l'Histoire, Sun Tse et Clausewitz, aient été farouchement opposés à la guerre? Cartes et index complètent cet ouvrage qui offre une contribution originale, à la fois simple et précise, à la connaissance de la stratégie."
 
    Sans prétendre donner toutes les réponses à ces questions, Frédéric ENCEL indique des faits qui permettent de comprendre leurs importances décisives. La force de cet ouvrage réside dans la capacité de mettre en lumière de manière synthétique les grands courants de pensée militaire et leurs applications ou non sur les champs de bataille. Un bon livre pour "débutants" qui ne se prend pas pour une sorte de "Stratégie pour les nuls"...
 

 

    Frédéric ENCEL, né en 1969, est également l'auteur de plusieurs autres ouvrages, dont certains provoquent la polémique, car concernant le Moyen-Orient. Il seraient trop orientés en faveur de l'Etat ou des gouvernements d'Israël (notamment de la part de Pascal BONIFACE dans Les intellectuels faussaires (Jean-Claude GAWSEWICH Editeurs, 2011), mais cela fait partie bien entendu des conflits entre écoles rivales). Il a ainsi écrit Géopolitique de Jérusalem (Flammarion, 1998, 2008) ; Le Moyen-orient entre guerre et paix. Une Géopolitique du Golan (Flammarion, 1999) ; Géopolitique de l'Apocalypse. La démocratie à l'épreuve de l'islamisme (Flammarion, 2002) ; La Grande alliance. De la Tchétchénie à l'Irak, un nouvel ordre mondial (avec Olivier GUEZ, Flammarion, 2003), Géopolitique d'Israël. Dictionnaire pour sortir des fantasmes (avec François THUAL, Seuil, 2004, 2011) ; Géopolitique du sionisme (Armand Colin, 2006, 2009) ; Comprendre la géopolitique (Seuil, 2011). 
 
 

   Frédéric ENCEL, L'art de la guerre par l'exemple, Stratèges et batailles, Flammarion collection Champs, 2002, 355 pages. Première édition en 2000.
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1 octobre 2008 3 01 /10 /octobre /2008 13:00
     Parue en 1989 en France, cette grande étude sur la naissance et le déclin des grandes puissances de 1500 à nos jours a relancé le grand débat - d'ailleurs toujours actuel - sur le déclin américain dans un monde multipolaire où sont en train d'émerger de nouvelles grandes puissances telles que la Chine, le Japon ou l'Inde. Écrit par un professeur d'université de Yale, aux Etats-Unis, historien de grande ampleur, le vrai propos de ce livre est l'interaction entre l'économie et la stratégie.
Cet ouvrage eut un grand retentissement également car il intervenait au moment du déclin  de l'empire soviétique.
     
      Dans son Introduction, Paul KENNEDY résume lui-même sa thèse : "La puissance relative des grandes nations à l'échelle internationale ne reste jamais constante : elle varie surtout avec les taux de croissance de chaque société et dépend de l'avantage relatif que confèrent les avancées technologiques et structurelles." L'augmentation de la capacité de production d'une nation lui permet de supporter des charges liées en temps de paix à une politique d'armement intensif, et en temps de guerre, à l'entretien d'armées importantes. Si une part excessive des ressources est détournée de la création de richesses pour servir à des fins militaires, on risque à long terme d'affaiblir la puissance nationale. Paul KENNEDY suit donc l'histoire des grands empires portugais, espagnol, habsbourgeois, britannique, russe, allemand, d'un bout à l'autre de leur naissance, de leur développement et de leur déclin, remplacés tour à tour par d'autres empires rivaux ou naissants.
    Cinq cent ans de puissances montantes et déclinantes sont analysées selon leurs évolutions économiques pour, en se projetant dans le XXIème siècle, prévoir quelques possibilités -l'auteur refuse tout lien mécanique et pense surtout sur le long terme - de fin de l'empire américain. Paul KENNEDY met en avant le hiatus persistant depuis les années 1970, surtout entre les équilibres productifs et les équilibres militaires. Les grands ensembles, dans un monde plus multipolaire que jamais, Chine, Japon, Europe, Russie, Etats-Unis, évoluent constamment et sont confrontés selon l'auteur "à l'éternelle question de la relation entre les moyens et les fins".
 
    Mine d'informations (les notes à elles seules occupent plus de cent pages de l'édition française) où tout étudiant et professeur est invité à piocher pour ses propres études sur d'autres aspects qu'il laisse volontairement de côté (relations systémiques entre guerres et cycles économiques par exemple), ce livre permet de réfléchir aux évolutions d'ensemble des puissances. Les liens très nets à long terme qu'il met à jour entre l'économie et l'expansion militaire des empires posent la question d'une différence de fond entre l'empire américain et les empires historiques, différence que l'ensemble des stratégistes américains de tout bord met en avant pour clamer la pérennité de la puissance américaine.
       Faire les guerres pour un Empire semble devoir accroitre ses ressources, mais être obligé de les faire indéfiniment ou de maintenir des occupations militaires semblent au contraire l'affaiblir. Paul KENNEDY ne s'aventure pas, volontairement d'ailleurs, dans l'analyse de fond pourtant cruciale des relations entre la nature sociale et politique des Empires et l'évolution de leur puissance. 
   
    L'éditeur présente ce livre de manière succincte : "Fruit de six années de recherches, cet ouvrage a fait l'effet d'une bombe lors de sa parution. Best-seller instantané aux Etats-Unis puis au Japon, décortiqué dans les chancelleries du monde entier, le livre de Paul Kennedy prend, en cette fin de siècle, des allures de prophétie : et si l'Amérique, cette puissance incontestée, se trouvait aujourd'hui à la veille de sa chute?"
   
    Pour bien comprendre cet impact, il faut situer ce livre, comme le fait Justin VAISSE, dix après sa parution, dans le contexte d'un débat intérieur américain. "La notion de déclin américain, devenue incontournable à la fin des années 1980, était une notion piégée. Elle a donné lieu à une litanie de faux-semblants : on la croyait outil de relations internationales, elle était largement à usage interne. On la pensait fondée sur de solides arguments historiques, elle ne faisait que projeter dans le futur les conjectures du présent. On voudrait lui faire exprimer l'inéluctable, elle marquait un phénomène cyclique. En dépit de son succès dans les cercles politiques et intellectuels américains, elle a été démentie de façon éclatante par la rayonnement retrouvé des Etats-Unis en cette fin de siècle".
Même si nous sommes loin de partager cet optimisme, loin aussi de penser comme l'auteur qu'il s'agissait alors que d'une faiblesse passagère, un "rideau de fumée des mutations vers l'ère postindustrielle", il relate avec a-propos le phénomène éditorial, de ce qui, partant d'analyses solides, devient au fur et à mesure d'une inflation d'ouvrages sur ce thème, le fait plonger dans la médiocrité répétitive. Par ailleurs, il ne faiut pas oublier que "dans tout débat, particulièrement aux Etats-Unis où la littérature universitaire est extrêmement abondante, il convient de prendre des positions tranchées, caricaturales au besoin, pour se faire entendre, et de pousser ses arguments aussi loin que possible.
C'est ce que fait E Luttwak avec le thème de la "tiers-mondisation des Etats-Unis". Dans un autre registre, Hutington lui-même (dans The US - Decline or Renewal?, dans Foreign Affairs, hiver 1988-1989) mêle dans ses citations de Paul Kennedy trois sources très différentes sans en faire le partage explicite : le livre publié en 1987, un article de 1988 et un texte écrit la même année à l'attention de la commission des affaires étrangères de la défense nationale du Sénat, dans lequel Kennedy estime que le déclin relatif des Etats-Unis a été plus rapide que ce qu'il aurait dû être dans les dernières années - une idée plus audacieuse, qu'on ne trouve pas dans Naissance et déclin des grandes puissances.
Plus généralement, on s'aperçoit que la riche production américaine dans le domaine des relations internationales est ponctuée par ces essais qui réinventent le monde en l'expliquant à partir d'une thèse centrale et unique (le déclin, la fin de l'histoire, le choc des civilisations, etc.), et que le débat universitaire et intellectuel ne semble s'épanouir que lorsqu'il a de telles positions radicales à se mettre sous la dent. Nul doute qu'il existe, à cet égard, une différence avec les pratiques européennes." La résurgence périodique du déclinisme répond, toujours selon Justin VAISSE, "tout autant qu'aux circonstances historiques, à une sorte de psychologie collective des Américains, une forme de cyclothymie qui accompagne souvent les idéaux élevés. Cette oscillation entre la confiance, l'assurance, et le doute, voire l'auto-dépréciation, s'observe de manière frappante dans la filmographie (...)". (www.vaisse.net)
 

 

 

   
    Paul KENNEDY (né en 1945), historien britannique spécialisé dans les relations internationales et la géostratégie, enseignant l'histoire britannique à l'Université Yale et la géostratégie à l'International Security Studies, a écrit plusieurs ouvrages sur l'histoire de la Royal Navy, la compétition entre les Grandes puissances, la guerre du Pacifique, donc : Stratégie et diplomatie, 1870-1945 (Economica, 1988) ; Préparer le XXIe siècle (Odile Jacob, 1994) ; From War to Peace : Altered Strategic Landscapes in the Twentieth Century (2000) ; The Parliament of Man : The Past, Present and Future of the United Nations (2006)...

Paul KENNEDY, Naissance et déclin des grandes puissances, Transformations économiques et conflits militaires entre 1500 et 2000, Editions Payot, 1989, 730 pages. Traduction par Marie-Aude COCHEZ et Jean-Louis LEBRAVE, de "The rise and Fall of the Great Powers, Unwin Hyman, london, 1988. Présentation de Pierre LELLOUCHE, mars 1989.
 
Complété le 26 septembre 2012
Relu le 18 octobre 2018
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