La République de PLATON (427-347 av J-C.), philosophe grec à la renommée (déjà à son époque) internationale, est l'auteur de nombreux ouvrages, dont seulement une partie est parvenue jusqu'à nous et rien ne dit que ce soit la partie la plus intéressante (pour nous et pour ses contemporains).
Toutefois, l'ensemble de ses écrits ayant fait, dans l'Antiquité et plus tard, l'objet de copies en grand nombre, la plupart des auteurs considèrent que l'essentiel de sa philosophie nous est parvenue. En tout cas, c'est à partir d'elle que s'élaborent de nombreuses doctrines métaphysiques, morales, pédagogiques, esthétiques, religieuses et politiques. Le corpus de connaissance de PLATON, loin de se confondre avec celui légué par ARISTOTE, constituée avec celui de ce dernier, la base intellectuelle de référence de pratiquement toute la pensée occidentale jusqu'à nos jours, soit que ses thèmes de prédilection soient toujours les nôtres, soit encore que les logiques qu'ils ont mis à jour constituent encore de précieux guides. Cela tient sans doute à la forme de leur enseignement, à la fois oral et écrit, dans leur volonté d'éducation clairement affirmée, et au fait que leur réflexion ne soit pas toujours un point d'arrivée mais aussi le produit d'une accumulation de connaissances bien antérieures à leur existence. Ils mettent d'ailleurs souvent, mais surtout PLATON, en avant les pensées de leurs prédécesseurs, même s'ils les déforment sans doute parfois.
La République de PLATON fait partie d'un ensemble d'oeuvres de cet auteur qui comprend également d'autres monuments littéraires, dont pour s'en tenir au domaine de la philosophie politique, tels que Les Lois et La Politique, et on peut difficilement, surtout en regard de la forme par laquelle ils sont parvenus jusqu'à nous, se livrer à l'analyse de La République sans tenir compte des autres écrits. Partie prenante de la politique athénienne de son temps, fondateurs de l'Académie, communauté amicale, centre d'enseignement et de recherche, institut de hautes études théoriques et pépinière pour futurs intellectuels engagés, PLATON écrit sur la politique, et notamment sur les institutions politiques, sans détachement (même s'il s'efforce de toujours garder une certaine honnêteté voulant approcher le non mensonge dans la présentation des opinions) avec une intention forte, celle de faire pénétrer tout homme politique de la philosophie. Même si, concrètement, notamment dans les affaires de Sicile vers la fin de sa vie, les résultats de son action furent désastreux.
Il faut noter, pour ceux qui ne le savent pas, que le regroupement des textes en Les Lois, La République etc, est une "oeuvre" relativement récent, et résulte notamment d'un grand travail assidu au tournant du XXe siècle... En effet, l'oeuvre de PLATON est dans son intégralité, révélée à l'Europe occidentale par la traduction latine qu'en donne Marsile FICIN en 1483-1484. La première édition moderne du texte grec date de 1534 et Henri ESTIENNE lors de son exil à Genève fait paraitre l'édition de référence actuelle en 1578. Le texte, cette édition complète des Oeuvres de PLATON, comprend alors trois tomes affectés d'une pagination continue. C'est par la suite, l'habitude prise de tronçonner ce (très) long texte, en plus présenté sur deux colonnes en grec et en latin, en République, Politique, Lois qui donne les présentations contemporaines...
On peut dire également que la transmission du texte fait de celui-ci le plus clair de toute l'Antiquité...
Cinq grandes parties
La République se compose de 5 grandes parties (il s'agit bien entendu d'une présentation moderne) :
- Ouverture de La République (Livre I) : 1 - Les conceptions traditionnelles de la justice ; 2 - La poésie et la justice ; 3 - La thèse sophistique : Thrasimaque (Entretien sur la définition "la justice est l'intérêt du plus fort" .
- Vers une définition de la justice (À partir du Livre II) : 4 - Méthode psychopolitique et poléogonie ; 5 - Mythologie, musique et gymnastique : l'éducation des gardiens dans la cité juste ; 6 (Livre III) - Les qualités des gardiens ; 7 - (Livre III et IV) Les mandats des gardiens ; 8 (Livre IV) - Règles diverses de la cité juste ; 9 - Dialectique de la justice.
- Les conditions de la réalisation de la cité juste (A partir du Livre V) : 10 - La communauté des femmes ; 11 - La communauté des gardiens ; 12 - (Livre V et VI) Le naturel philosophe ; 13 - (Livre VI et VII) L'éducation des rois philosophes : sciences et dialectique.
- Les formes de l'injustice dans la cité et dans l'âme individuelle (A partir du Livre VIII) : 14 - (Livre VIII et IX) Généalogie des systèmes politiques ; 15 (Livre IX) - La thèse socratique : seul le juste est heureux ; 16 (Livre X) - Bannissement de la poésie.
- Conclusion de La République : 17 (Livre X) - Eschatologie et mythe de la rétribution.
Pour Georges LEROUX, qui effectue ce découpage, "on peut juger que la cité idéale représente une fantaisie dépourvue d'intérêt et une réponse inadéquate aux aléas de la démocratie. On peut aussi juger que la métaphysique des formes intelligibles et le privilège accordé à la philosophie constituent des thèses exorbitantes, qu'il ne vaut plus la peine de discuter. Si on ne cesse de revenir à La République, si tout le canon occidental la considère comme un chef-d'oeuvre, c'est que sa valeur réside dans la force et la complexité de la recherche qui met en branle le dialogue : l'essence de la justice. (...) Le contexte historique constitue l'arrière-plan essentiel de La République, dans la mesure où le dialogue est non seulement une réflexion sur la justice de l'âme individuelle et le bonheur qui lui est associé, mais aussi sur la justice de la cité et la possibilité d'une réponse philosophique aux tourments de la stasis, de la discorde politique" PLATON tente, à partir de son expérience et probablement de sources maintenant perdues, une recherche générale sur la nature de la justice en dépassant le seul cadre d'Athènes, même si il évoque son histoire, en termes parfois très voilés (pour nous en tout cas...). Il veut tenir les deux facettes essentielles pour une réflexion sur la justice, l'individuel (l'âme) et le collectif (la cité). PLATON diffuse son enseignement dans un contexte de guerre presque continuelle (de 490 à 338, Athènes fut en guerre une année sur trois). Pour Georges LEROUX, "La République est l'exemple le plus clair d'une oeuvre remplie à la fois de l'horreur de la guerre et du désir de la mener de manière victorieuse." Si la fortune de La République traverse les siècles c'est parce que "le platonisme a définitivement lié la théorie politique à la recherche des fondements de l'ordre politique, créant par là un langage et une problématique politique de type métaphysique. L'État moderne n'est pas la cité, le droit moderne a peu en commun avec la loi grecque et cependant les formulations modernes de ces questions de fondement sont coulées dans le moule même qu'avait forge Platon."
Les problèmes de morale individuelle
La voûte majeure de La République, selon Jacques BRUNSCHWIG, "qui s'étend du "prélude" que constitue le livre I jusqu'au mythe du jugement des âmes qui termine le livre X, n'a pas de signification politique ; elle concerne un problème de morale individuelle. Qu'est-ce que c'est, pour un homme que d'être juste? La justice est-elle un bien, et quelle sorte de bien? Faut-il être juste, et pourquoi? Telles sont les questions que lance le "prélude", qui ressemble à beaucoup d'égards aux "dialogues socratiques" antérieurement composés par Platon. Même démarrage à partir d'une conversation familière (ici entre Socrate et le riche vieillard Céphale, elle tourne tout naturellement sur la valeur de la vieillesse et de la richesse). Même passage à la question de savoir quelle est la nature d'une vertu morale particulière (ici la justice, dont Socrate feint de croire que Céphale a prétendu la définir). Même entreprise de réfutation dialectique de diverses opinions courantes (conventionnelle et traditionnelles comme celles de Céphale et de Polémarque, ou au contraire choquantes et provocatrices comme celle de Thrasymaque). Même conclusion "aporétique" aveu d'échec que Socrate attribue à une erreur classique de méthode (on s'est top vite interrogé sur la valeur de la justice, sur ses avantages ou inconvénients comparés à ceux de l'injustice, sans se demander quelle est sa nature). Les interlocuteurs divergent profondément dans l'appréciation qu'ils portent sur la justice : Céphale et Polémarque ratifient l'approbation sociale qu'elle recueille ; Thrasymarque la rejette avec violence, et veut montrer que la justice n'est qu'une contrainte mystifiée, exercée par les détenteurs du pouvoir, dans leur propre intérêt, sur leurs sujets, contre leur propre intérêt. En dépit de la dimension politique qu'il introduit ainsi dans la discussion, la notion de justice, au cours de ces premières approches, reste celle d'une disposition de l'individu à se comporter d'une certaine manière (qu'on la juge louable ou stupide) dans ses rapports avec les autres."
La forme du dialogue contradictoire
Plus sans doute que le contenu même de la discussion, qui ne varie guère d'ailleurs siècle après siècle, qu'il soit emprunté directement des sources "Platon", c'est sa forme même, celle du dialogue contradictoire, qui amène la tonalité en fin de compte "démocratique" de l'oeuvre. Il n'y a pas ici l'aspect péremptoire et légèrement menaçant de nombreux autres textes de l'Antiquité, à la limite du droit et de la rhétorique politique. Il s'agit bien d'une discussion pratiquement entre égaux, égaux parce que philosophes, philosophes parce que égaux.... Comme le fait remarquer le même auteur, "on a dit souvent que La République présente une "cité idéale", parfaite et parfaitement juste", ce qui est vrai d'une certaine manière lorsque lit les prescriptions à suivre pour y parvenir, mais "les choses sont un peu plus compliquées. Dans ce long détour, écrit-il, par les "gros caractères", il est bien question, fondamentalement, de chercher ce qu'est la justice dans la cité ; mais deux précisions s'imposent. D'une part, cette recherche se décompose en deux moments ; d'abord, on va "considérer en théorie la genèse d'une cité", en prenant en compte les hommes tels qu'ils sont, avec leurs besoins et leurs désirs ; on verra alors, mais très postérieurement quand, où et comment la justice s'y forme et y réside. D'autre part, l'étude de le cité juste appelle, comme son complément nécessaire, celle des diverses formes de cités injustes. Disons donc, en termes anachroniques, que l'auteur d'une utopie (le terme, parfois discuté, parait légitimé par (certains) passages.), mais aussi d'une sociologie de la formation et du développement des entités politiques, et un théoricien de la pathologie des constitutions politiques."
Dans cette pathologie, la question du luxe, en fin de compte de la richesse, semble centrale, évoquée par plusieurs protagonistes de la discussion et à plusieurs reprises dans La République. La possibilité de la formation d'une cité juste est directement reliée à la place de la philosophie dans la culture des dirigeants, jusqu'à ce que le souverain idéal soit conçu comme un roi-philosophe. Et cette place ne peut être assurée que par l'application d'un long programme pédagogique en direction du plus grand nombre de citoyens possibles, la cité achevée devant comporter trois classes, producteurs économiques, auxiliaires armés, gouvernants-gardiens. PLATON est en fin de compte indifférent à la forme monarchique ou aristocratique du régime, du moment que celui-ci assure la formation des guerriers, des producteurs et des gardiens.
Cette division n'est-elle pas grosse de conflits? reprend Jacques BRUNSWIG en suivant la logique du texte. "On y veiller de diverses manières. D'une part, on diffusera dans la cité "de beaux mensonges" : tous les citoyens sont des frères, fils de la même terre ; leur statut social est déterminé par le "métal" dont est faite leur âme, normalement identique à celui de leurs parents, mais exceptionnellement différent de lui (ce qui légitime à la fois la stabilité des classes et la mobilité éventuelle des individus, sous le contrôle des gouvernants-éducateurs). D'autres part, on imposera aux gardiens et à leurs auxiliaires un mode de vie communautaire, sans propriété ni vie privée, qui les délivrera de tout intérêt, individuel ou de classe, distinct de l'intérêt de la cité, et qui les empêchera d'exploiter ceux qui les nourrissent, qu'ils protègent et qu'ils gouvernent. L'unité de la cité, loin d'être menacée par sa division en classes, est assurée par cette division même ; s'appuyant (dans les cas où cela convient) sur l'idée que tel attribut appartient à la cité quand il appartient à chacun de ses membres, Platon pense que "si chacun, occupé à l'unique emploi qui lui est propre, reste un au lieu de se diviser en plusieurs", par là la cité tout entière reste une aussi, au lieu de devenir multiple". Et c'est en cela même que la cité parfaitement bonne se découvrira comme juste : alors que, de toutes ses vertus, les unes tiennent à celle de l'une de ces classes (elle est sage parce que ses gouvernants le sont, courageuse parce que ses guerriers le sont), et d'autres au contenu des rapports entre ces classes (elle est tempérance parce que les meilleurs y gouvernent les moins bons, avec l'assentiment des uns et des autres), sa justice tient à la seule existence de ces classes et à la séparation de leurs fonctions : que chacune fasse respectivement son office avec la perfection qui lui est propre, sans se mêler de celui des autres, c'est en cela que la cité sera juste. Platon effleure à peine la question de savoir si chacune reçoit à juste proportion de ce qu'elle donne ; l'essentiel n'est pas dans l'équilibre des échanges de biens et des services entre les diverses classes, mais dans la production par chacune, sans interfèrence avec les autres, des biens et services du type spécifique qui est de sa compétence."
Si des développements importants sont accordés dans le texte à la classe des guerriers et à la classe de gardiens (jusqu'à provoquer des interrogations profondes sur la condition des gardiens, lorsque dans sa description, les interlocuteurs de Socrate veulent en savoir plus sur la possession des femmes, le mariage, la procréation des enfants...), il faut bien se rendre compte que la classe des producteurs constitue bien un point aveugle de La République. Se centrant sur les dangers de la corruption politique dont il faut absolument sortir pour parvenir à cette cité idéale, PLATON parle très des conditions économiques qui la rendent possible. A un point tel que la caractérisation des quatre constitutions possibles, la timocratie (dominée par l'amour des honneurs et la préséance laissée à la partie "irascible" de l'âme), l'oligarchie (gouvernement des riches, où le désir de l'argent l'emporte sur tout autre), la démocratie (où la liberté se confond avec la licence et où toutes les concupiscences s'abattent anarchiquement) et la tyrannie (le tyran étant l'antithèse du roi-philosophe) s'effectuent sur les tendances individuelles des gardiens (et accessoirement des guerriers) et que l'évolution de la classe des producteurs est parfaitement indifférente.
La Cité
Luc BRISSON et Jean-François PRADEAU indiquent que dans l'ensemble de l'oeuvre de PLATON, la Cité est l'objectif de préoccupation majeure de sa philosophie. "Si la conception platonicienne de la cité subit un certain nombre de changements dans les dialogues, la question politique à laquelle ces approches successives cherchent à répondre reste toujours identique : comme unifier une multiplicité? Le multiple en question est celui des éléments qui composent la cité et des fonctions et forces diverses qui s'y rencontrent. Il ne s'agit toutefois pas seulement d'une multiplicité d'hommes ; en effet - c'est l'un des traits caractéristiques de la pensée politique platonicienne - la cité est aussi bien composée d'hommes, que de ressources naturelles, de biens et d'objets techniques. Dans les limites d'un territoire, ce sont des éléments hétérogènes qu'il convient donc de rassembler, de manière à produire une vie commune. A cet objet complexe qu'est la cité correspond une activité particulière de production et de soin, la politique. La technique politique doit réaliser l'unité de la cité, en lui donnant une "constitution" (politeria, qu'on peut encore rendre par "régime" politique). Les recherches sur les différents types de constitutions politiques (...) sont un genre d'écrits bien défini et représente en Grèce, aux Ve et IVe siècles. C'est à ce genre que Platon rattache ses deux grands traités politiques, La Républiques et Les Lois. Mais il en modifie considérablement l'orientation et le statut, en s'intéressant non plus seulement à la répartition souhaitable des pouvoirs dans la cité, mais aux conditions d'existence même d'une cité une et vertueuse, en subordonnant la question de la répartition des groupes sociaux à l'intérêt de la cité dans son ensemble. Une telle recherche suppose un savoir adéquat de ce qu'est la nature de la cité et de ce qui lui convient, exactement comme si l'on devait rechercher les conditions de l'excellence d'un individu, celles qui lui permettent d'avoir une vie heureuse (d'où la comparaison entre l'ême individuelle et la cité, qui occupent les livres II à IV de La République).
Qu'est-ce alors qu'une cité? C'est l'unité d'une multiplicité de natures, de puissances et de fonctions distinctes vivant une vie commune. Pour la favoriser, il convient de disposer ensemble ces fonctions, en empêchant qu'elles se confondent (...) et qu'elles se contrarient (...). Cela suppose une technique politique, qui est une technique d'un genre particulier, dans la mesure où elle n'a pas pour tâche de produire ou de soigner un objet spécifique, mais plutôt de permettre l'unité de tous les objets.
Dans La Politique, Platon conçoit la cité comme un ouvrage technique, dont le paradigme est un tissu. De même qu'on doit entrecroiser la chaine et la trame pour fabriquer un tissu, de même on doit entrecroiser dans la cité des citoyens aux tempéraments différents. La cité sera ainsi le résultat, via les deux moyens privilégiés que sont la législation et la production d'opinions communes, de l'appariement de caractères différents et de corps hétérogènes. C'est ce qui confère à la science politique le statut d'une science des corps et de leurs mouvements : gouverner, c'est distribuer citoyens et objets sur un territoire limité, afin que chacun d'entre eux accomplisse les mouvements et les fonctions qui conviennent à sa nature. De la sorte, le partage des fonctions doit être accompagné d'une certaine répartition de l'habitat et des lieux fonctionnels sur un plan urbain précis.
C'est ce que s'attachent à montrer les derniers textes politiques platoniciens (Le Criteas et surtout Les Lois), qui décrivent les cités fictives, en montrant comment la conception de leur espace territorial ou urbain doit être conçu de manière à rendre possible la mobilité et la rencontre des citoyens, de manière à faire de la cité un véritable vivant : un corps équilibré et une âme, dont l'intellect est un gouvernement savant (...). La politique devient ainsi une activité 'démiurgique" que Platon conçoit de façon semblable à la fabrication démiurgique du monde. A cette réserve décisive près que, là où la fabrication du monde rste une fiction, celle de la mise en ordre de la cité est au contraire une réalité à l'urgence de laquelle Platon ne cesse d'appeler.
Si la réflexion politique a une telle importance dans la philosophie platonicienne, c'est bien parce que la cité s'y trouve définie à la fois comme la condition et l'objet de la philosophie qui, si elle est bien le désir d'une intelligence de la totalité du réel, ne peut s'exercer qu'à travers une communauté de citoyens, de savoirs et d'oeuvres. La philosophie est une pensée de la cité."
La postérité de l'oeuvre
Après les commentaires du néo-platonicien PROCLUS (412-485) (car aucune autre ne nous a été transmis auparavant), les philosophes de l'Ecole ont coutume de commenter la République de manière détaillée. ORIGÈNE, LONGIN, JAMBLIQUE, PROPHYRE et plusieurs autres sont cités comme ayant tenu des interprétations divergentes sur plusieurs points, et en particulier sur le rapport entre la doctrine de la constitution politique, comme universel, et la philosophie de la nature (voir DH. DÖRNE et M. BALTES, 1993).
La coexistence de La République et des Lois dans l'héritage laissé par PLATON à la postérité a sans doute fortement contribué à repousser le premier des deux ouvrages vers le pôle de l'utopie au sens contemporain du mot. CICÉRON estimait la cité de La République comme plus désirable que réalisable. Aussi La République a plus marqué la pensée politique que l'action politique, les échecs de PLATON vers la fin de sa vie n'y étant sans doute pas pour rien. S'il s'agit dans la pratique de créer une cité platonicienne, il est d'abord nécessaire de s'exiler pour fonder une colonie s'inspirant de ses principes, tant la distance est énorme entre la nature de philosophie politique dans l'empire romain par exemple et celle de PLATON, même si PLOTIN lui-même est fortement séduit par sa pensée. Il en est d'ailleurs de même au long des siècles... Ce statut d'utopie a fortement contribué à la survie du texte au milieu de tant d'autodafés, qui visaient de multiples écrits à influence directement visible.
C'est finalement surtout vers l'époque moderne (à partir de NIETZSCHE par exemple) que La République est prise au sérieux, autant d'ailleurs que comme référence à une sorte de société égalitaire qu'à une forme de totalitarisme.
Jacques BRUNSHWIG estime que la nouvelle fortune du texte provient de l'émergence de régimes politiques entièrement nouveau, auxquels ont tente de rapprocher une expérience historique tangible. L'auteur pose la question de savoir si PLATON était totalitaire : "Si l'on admet que le totalitarisme, sous ses différentes formes, vise à supprimer les conflits internes d'une société au lieu de négocier leur solution, il n'est pas surprenant que l'on ait pu relever de multiples coïncidences, superficielles ou profondes, entre d'une part les structures et les actes d'un tel régime, et d'autre part la description platonicienne d'une cité qui ignore les conflits et qui a pour fonction expresse d'en prévenir l'apparition ; la panoplie des mesures disponibles n'est, après tout, par illimitée. Concentration du pouvoir, soit entre les mains d'une élite supposée détenir la science des lois de l'histoire, soit entre celles d'un dirigeant censé disposer d'une intuition infaillible, subordination absolue de l'individu à l'État, suppression de la barrière entre vie privée et vie publique, racisme et eugénisme, dirigisme éducatif, endoctrinement et militarisation de la jeunesse, censure et asservissement de la production intellectuelle et artistique, répression de l'innovation et de la critique, recours à la violence policière contre les opposants et les réfractaires, tendances à l'autarcie et à la suppression des contacts, de quelque nature qu'ils soient, avec l'étranger : voilà quelques-uns des traits communs que, parfois pour s'en réjouir et plus souvent pour s'en indigner, l'on a cru pouvoir repérer entre La République platonicienne et les États totalitaires modernes". Notre auteur indique qu'à part quelques propagandistes (lesquels?) sans grande importance, "on peut constater que Platon n'est généralement mis en cause que par les adversaires des régimes auxquels sa politique est suspecte de ressembler ; cela est vrai des critiques marxistes qui le classent comme un idéologue réactionnaire, comme des critiques libéraux qui voient en lui l'un des ennemis les plus influents de la "société ouverte" (K. POPPER, La société ouverte et ses ennemis I L'ascendant de PLATON, Seuil, 1979)." Le débat, constate-il, n'est pas près d'être tranché entre une vraie comparaison el l'anachronisme patent de cette comparaison, les conditions (et même les mentalités) de l'Antiquité n'ayant que peu à voir avec les nôtres...
En fin de compte, il semble bien qu'elle soit rendue difficile par le simple fait que PLATON ne nous laisse même pas entrevoir la réalité économique de son époque (existe-t-il des esclaves à Athènes?) et que la forme même du texte ouvre toutes les hypothèses possibles : le dialogue est la meilleure condition, surtout que souvent PLATON ne conclue même pas la conversation, passant facilement d'un objet à un autre, pour que soient mises en valeur toutes les vertus et tous les défauts. Bien entendu, PLATON tranche souvent, mais pas forcément directement à la fin d'une conversation... La République permet, force même, réflexion et discussion, et ne les ferme jamais.
PLATON, La République, Traduction et présentation par Georges LEROUX, GF Flammarion, 2002.
Jacques BRUNSCHWIG, La République de Platon, dans Dictionnaire des Oeuvres politiques, PUF, 1986. Luc BRISSON et Jean-François PRADEAU, Platon, dans Le Vocabulaire des Philosophes, Ellipses, 2002.
Relu le 25 octobre 2021